dimanche 31 décembre 2006

Un ennemi de poids

Septembre gardait quelques beaux restes d'un mois d'août caniculaire. Les températures insoutenables du mois dernier avaient revu leurs prétentions à la baisse et un léger vent d'ouest venait raffraîchir l'air pourtant encore emprunt de lourdeur.

Sur la plage, quelques estivants tardifs gisaient sur leurs draps de bain colorés, suintants d'huiles odorantes, telles des offrandes au Dieu Soleil. Les ballons bondissants suivis de ribambelles d'enfants et d'un nuage de sable digne d'un sirrocco avaient cédé la place à de vieux couples de homards rougis, gisant tels des épaves échouées et raccornies par les attaques du temps.

Perché dans sa maison de la colline, un homme observait depuis sa terrasse ce pathétique spectacle avec dégoût. Il concevait un profond mépris pour les gens qui manquaient à ce point de respect pour eux-même et pour les autres. Lui qui avait toujours fait tout ce qu'il fallait pour se maintenir en forme pouvait aujourd'hui, à 42 ans, s'enorgueuillir d'avoir pu conserver le poids et la stature de ses 20 ans. On ne pouvait en dire autant de ces pauvres débris, dont la graisse se répandait en d'immondes bourrelets disgrâcieux et transpirants qu'ils tentaient de faire rôtir jusqu'à ce qu'ils brûlent.

Il posa ses jumelles sur la table et but une gorgée de ce qu'il appelait son « elixir » : un breuvage composé d'oeuf, de jus de carotte, de jus pommes, de jus de citron et d'une cuiller à soupe d'un complément alimentaire qu'il se procurait sur le net à prix d'or. La vue de ce laisser-aller le rendait nerveux. Il se leva pour se regarder dans le reflet de la baie vitrée : ce qu'il y vit lui donna satisfaction. Il se sourit à lui-même, admira son autre profil et mit à faire des pompes.

*

L'après-midi touchait à sa fin. D'ici une heure, tous les touristes auraient rendus leurs transats et bu leur dernier verre. Vera comptait bien ne pas la faire tard aujourd'hui. Elle avait encore beaucoup à faire... Elle commença déjà à ranger les chaises-longues inoccupées, et tant pis (ou tant mieux ?) si ça faisait partir les clients restants.

Ce soir, Guillaume et elle fêtaient leur premier anniversaire de mariage, dans le petit restaurant du bord de mer où il lui avait fait sa demande deux ans auparavant. Le « Palais vénitien » était un italien à la déco baroque où l'on dégustait d'excellents fruits de mer.

En quittant la plage, Vera s'arrêta à la boutique de fringues qui se situait à deux rues de là.
_ Bonjour Madame ! lui lança la vendeuse au moment où elle fit tinter les tubes de bambou accrochés devant la porte. Puis-je vous aider ?
_ Avec plaisir, lui répondit Vera. Elle sortit d'un petit sac en papier la petite robe rouge qu'elle portait le jour où il lui avait demandé sa main.
_ Je me demandais si, à tout hazard, il vous restait dans vos vieux stocks un exemplaire de cette robe ?
_ Oulàlà !... Je ne suis vraiment pas sûre. De quand date votre achat ?
_ Juin 2004.
_ Attendez-moi là, je vais regarder derrière. En attendant, vous pouvez jeter un oeil dans les rayons de la nouvelle collection automne-hiver 2006. On a de très chouettes articles qui viennent tout juste de rentrer... Quelle taille vous faut-il ?
_ Du 42, je crois...

Et la vendeuse disparut derrière un rideau, dans le fond du magasin. Vera jeta un coup d'oeil circulaire autour d'elle, et se dirigea vers un coin du magasin où les vêtements à dominante brune et bleue pâle avaient été rassemblés. Elle décrocha un cintre où était accroché un joli bermuda couleur chocolat, avec un pli bien net, de petites pinces à la taille, deux poches à rabat derrière et un bel ourlet apparent. Il y avait un joli blaser court assorti, qui arborait une belle fleur bleue en tissus sur le revers. Elle adorait ce style. Avec un joli petit top à col roulé, ce serait parfait. Elle regarda la taille du bermuda : c'était un 38. Alors elle fouilla dans le rayon pour trouver un 42. Son visage s'éclaira d'un sourire lorsqu'elle sorti sa trouvaille d'un air triomphant.
Elle embarqua le tout dans une cabine d'essayage. Heureusement, en prévision de la soirée romantique de ce soir, elle avait pris soin d'elle et était parfaitement épilée. Sa peau arborait un joli hâle. Elle avait horreur de sortir des cabines d'essayages avec des jambes de grizzly albinos.

Elle esaya d'enfiler le bermuda, mais elle comprit vite que ça ne passerait pas. A mi-cuisse, c'était bloqué. Elle avait pourtant perdu deux kilos ces dernières semaines, et avait espéré pouvoir à nouveau rentrer dans du 42. Elle s'était promis de retrouver sa taille 40 d'ici la fin de l'année et se prenait même à rêver de remettre un jour du 38...

Les larmes lui montaient aux yeux. C'était chaque fois pareil. Elle avait envie de faire un peu de shopping pour se faire plaisir, mais à chaque fois ça lui faisait du mal. Elle se regarda dans le miroir et se trouva horrible.
_ T'es vraiment immonde, espèce de grosse vache. Regarde-moi ça ! (elle prit le bourrelet de son ventre à deux mains et le secoua) Comment peux-tu te laisser aller comme ça ?
_ ... ça va Madame ? lui demanda la vendeuse derrière le rideau de sa cabine.
_ Euh... oui, oui ! Enfin non, j'ai essayé un article mais il est trop petit.
_ Je peux aller vous chercher la taille au-dessus si vous voulez. Pour votre robe, j'en ai retrouvé une, mais malheureusement il ne me reste qu'un 44... Peut-être pourrez-vous la faire reprendre sur les côtés ?
_ Passez-la moi, je vais essayer. Et, oui, je veux bien que vous essayez de me trouver ce bermuda.

Elle enfila la robe. Elle lui allait à merveille. Partagée entre la déception de n'avoir pas encore perdu une taille malgré les efforts qu'elle s'était infligés et la satisfaction de pouvoir porter ce soir la « même » robe qu'il y a deux ans, Vera sorti de la cabine pour se regarder dans le grand miroir.

A ce moment, la vendeuse revenait, un air gêné sur le visage.
_ Désolée, Madame, je n'ai plus la taille au-dessus... Oh, mais cette robe vous va à ravir ! On dirait qu'elle a été faite pour vous.
_ Merci, je vais la prendre. Je peux la garder sur moi ?
_ Oui, bien sûr, attendez, je vais chercher des ciseaux pour ôter les étiquettes.

Arrivée à la caisse, Vera avait retrouvé le sourire.
_ Combien vous dois-je ?
_ Eh bien écoutez, c'est un vieil article et c'est notre dernière pièce. Je vous la fait à 10 euros, qu'en dites-vous ?
_ Oh, merci beaucoup ! Je reviendrai, répondit-elle avec entrain.

*

_ Benedetti, tu peux venir dans mon bureau ? Williams vient de nous apporter les résultats du labo, je crois qu'il a peut-être quelque chose d'intéressant.

Le jeune inspecteur bondit de sa chaise et vint rejoindre le commissaire dans son bureau. Williams était là, une fesse sur le coin du bureau, et tenait une liasse de papiers qu'il feuilletait d'un air circonspect, ses petites lunettes rectangulaires en métal descendues sur le bout de son nez. Le commissaire Rousseau était retourné s'assoir sur sa chaise derrière son imposant bureau en bois sombre dont on ne voyait presque plus la couverture de cuir vert, recouverte par des pilles de documents et de dossier.

Son regard se posa sur le mur à sa gauche, où une série de clichés sanglants montrait les corps de deux femmes et d'un homme couverts de cicatrices et dont la bouche avait été cousue. Aucune des trois victimes n'avait encore pu être identifiée. On aurait dit l'exposition morbide d'un artiste complètement siphoné. Ces photos n'avaient pas été prises par le photographe de l'équipe d'expertise scientifique, mais adressées par courrier après chaque meutre au commissaire en personne. La première photo était arrivée au commissariat le 4 juillet. Elle représentait une jeune femme dont le corps avait été placé dans une position provocante, assise à l'envers sur une chaise. Ses paupières avaient été soigneusement maquillées puis collées en position ouverte. Ses yeux avaient été maintenus dans leurs orbites à l'aide d'une longue aiguille plantée dans l'iris et donnait une désagréable impression de vie à son regard mort. Le meutrier avait maintenu la tête de sa victime en coinçant de sa main gauche sous le menton, le coude appuyé sur le dossier de la chaise, en une vulgaire immitation de Lili Marleen.
Hormis les nombreuses cicatrices qui parcouraient son corps, songeait Benedetti, elle semblait avoir été une belle femme.

_ Alors, parlez-nous de ce que vous avez découvert, Williams.

Benedetti fut interrompu dans ses pensées par l'intervention du commisaire.

_ Je pense que nous n'avons pas affaire au même gars.
_ Et qu'est-ce qui vous fait dire ça ? demanda Rousseau.
_ Eh bien, vous vous souvenez que l'analyse des fils utilisés pour les sutures des deux premières victimes n'avaient rien donné : c'était du simple fil à coudre rose, comme on en trouve dans toutes les grandes surfaces et merceries du monde entier. Impossible à retracer. Cette fois, il semblerait que le meutrier ait utilisé du vrai fil de suture. Probablement piqué dans un hôpital, ou chez un médecin. Les incisions sont plus propres, plus nettes. On a également retrouvé des traces de désinfectant.
_ Il se « professionnalise » , voilà tout ! intervint Rousseau.
_ Alors, il aurait aussi modifié son modus operandi, ajouta Williams. Les deux premières victimes étaient des femmes, et elles sont mortes des suites des hémorragies provoquées par ses « interventions ». Celle-ci est un homme, et il est décédé d'inanition. Il l'a laissé crever de faim ! Je pense qu'on a affaire à un copycat.
_ Il n'a peut-être pas réellement modifié sa façon de procéder, avança Benedetti, qui n'avait pas encore dit un mot. Il vient peut-être seulement de réussir pour la première fois ce qu'il essayait de faire...
_ Que veux-tu dire ? l'interrogea Rousseau.
_ Il leur coud la bouche. Ce n'est peut-être pas pour les empêcher de parler ou de crier, comme on a pu le penser, mais pour les empêcher de manger...
_ Ca tient la route, l'appuya Williams. Je n'avais pas vu ça sous cet angle. Pour moi, les mutilations avaient pour seul objectif de provoquer douleur et saignement sans toucher aux zones vitales afin d'éviter une mort trop rapide, mais les interventions qu'il opère sur ses victimes sont en général situées sur des zones grasses, telles l'abdomen, les cuisses, les seins, les côtés, les bras, le menton. Il leur ôte de la graisse. Ce type se prend pour un chirurgien esthétique. Vu les piètres résultats sur ses deux premières victimes, il a dû potasser pour maintenir la troisième en vie.
_ Nous devons réinterroger le système, reprit le jeune inspecteur. En ce qui concerne l'identification des victimes, il faut étendre notre recherche à toutes les disparitions de femmes et d'hommes de forte corpulence. Pour ma part, je vais interroger toutes les banques de données des bibliothèques et librairies des environs pour voir quels ouvrages de chirurgie ont été loués ou achetés ces deux, non, disons trois derniers mois. Je vais aussi voir sur Google si je ne trouve pas l'un ou l'autre site ou forum intéressant en la matière. Ce serait trop beau, mais sait-on jamais...
_ Ok, au boulot. On se retrouve demain dans la salle de briefing à 9 heures pour faire un récapitulatif de tous les éléments à notre disposition. Hors de question de quitter la pièce tant qu'on n'a pas trouvé le bout du fil qui nous permettra de dérouler la pelotte !

*

Quand Guillaume rentra chez lui, Vera était sous la douche. Il se déshabilla rapidement pour se faufiler auprès d'elle. Quand il ouvrit le rideau de douche, elle poussa un cri de surprise. Il enroula ses bras autour d'elle et posa un baiser dans le creu de son cou. Elle avait du savon dans les cheveux et n'osait pas ouvrir les yeux. Elle agrippa ses deux petites fesses à pleine main.
_ Ah oui, ça c'est bien mon mari, conclut-elle.
Ils firent l'amour sous le jet tiède. Décidément, ce pommeau de douche Rainmaker était vraiment un bon investissement, c'était très agréable de pouvoir profiter à deux de ces gouttes rappelant l'eau de pluie.
(à suivre...)

La dernière page (2)

Amy sursauta au bruit sourd des poings qui cognaient sur sa porte. Ses souvenirs l'avaient plongée dans un profond sommeil et elle s'était assoupie devant sa fenêtre. La pluie avait cessé, mais les nuages n'avaient pas quitté le ciel. Ils semblaient former un couvercle opaque à quelques mètres du sol à peine et donnaient à la tombée du jour un air de nuit anthracite.

Au début, elle ne comprit pas tout de suite ce qui l'avait tirée si violemment de son sommeil. En jetant un oeil sur l'horloge accrochée au dessus de la porte de la cuisine, elle se rendit compte avec stupeur qu'elle avait passé l'après-midi assise là. Son arthrite ne le lui pardonnerait pas dans les jours à venir, pour sûr ! A commencer par cette nuit.

Un bruit de clé dans la serrure de la porte d'entrée et quelques bougonnements incompréhensibles l'avertirent de l'entrée imminente de Judy, vraisemblablement de mauvaise humeur.

_Ah ! Tout de même... Vous n'êtes pas morte, à ce que je vois ? Vous auriez pu m'ouvrir !

Judy jeta plus qu'elle ne déposa le sac en papier contenant les courses qui devaient leur permettre de manger ce soir-là. Les tomates roulèrent hors de leur emballage et l'une alla terminer sa course sur le carrelage blanc de la cuisine, s'arrêtant contre la porte du frigo.

_Tenez ! Voilà du courrier pour vous. Ca vient de France. Je ne savais pas que vous aviez des connaissances en France...?
_Mais je n'ai pas de connaissance en France, répondit-elle, interloquée, en retournant l'enveloppe pour voir si l'adresse de l'expéditeur était renseignée. Ce n'était pas le cas. En revanche, le cachet indiquait que le pli provenait d'Epinal. Elle ne reconnaissait pas non plus l'écriture utilisée pour l'adresse. L'enveloppe en elle-même était toute simple : blanche, le genre d'enveloppe que vous achetez par paquet de cent en papetterie, et que vous ne devez même pas lécher pour refermer.

Intriguée, Amy s'empara de son coupe-papier - un souvenir ramené de son voyage de noces à Bali - et entreprit d'ouvrir l'enveloppe. A peine avait-elle parcouru les premières lignes que son regard s'agrandit, quitta la feuille des yeux et alla se perdre dans le vide. La lettre lui glissa des mains et sembla vouloir aller se cacher sous le radiateur.

_Amy ? Bon sang, qu'est-ce qui vous prend, Amy ! Vous allez bien ?...

Inquiète, Judy se pencha pour ramasser la feuille de papier.

_Rendez-la moi, je vous prie. Je... Je n'ai pas terminé de la lire.

Rassemblant ses esprits, Amy se força à reprendre le cours de sa lecture. Face à son regard embué, Judy ne put réprimer un petit pincement au coeur, malgré son humeur.

"Vous ne voulez pas que je vous la lise ? Vous n'y arriverez pas comme ça..."

Partagée entre pudeur et résignation, Amy lui tendit la lettre d'un bras hésitant.

Ma très chère Amy,

Cela semble faire des siècles que nous ne nous sommes plus vues. Et finalement, ce n'est pas loin de la vérité... Par où commencer ? Si je reprends la plume aujourd'hui pour t'écrire, c'est en souvenir de notre vieille promesse. Je suis sûre que, comme cela t'étais déjà arrivé par le passé, tu as repensé récemment aux Intrépides. Même si cela faisait des années que cela ne t'avais plus traversé l'esprit. Comme autrefois, tu as ressenti une fois de plus l'appel de ton serment.
Cette fois, c'est mon tour. Je sens mes derniers jours venir. Oh, rien de dramatique : pas de "pénible et longue maladie". Seulement le temps qui n'a que trop passé. Peut-être même qu'au moment où tu liras ces lignes, il sera déjà trop tard.
Tu es la dernière des Intrépides. C'est à toi que reviennent les trophées qui m'avaient été confiés.
J'espère que tu pourras venir à temps, car cela me ferait tellement plaisir de te revoir. Et puis, mon coeur a besoin de se vider avant de cesser de battre.

Je t'aime.

Eva.
(à suivre...)

samedi 15 juillet 2006

La dernière page

Dimanche pluvieux... Amy regarde les gouttes de pluie glisser sur la vitre de sa cuisine, et les nuages faire la course dans le ciel. Elle laisse vagabonder son esprit, un sourire vaguement rêveur accroché aux lèvres, et se laisse envahir par les souvenirs des beaux jours.

Elle se souvient de son premier été ici, elle avait alors 12 ans... Sa famille était originaire d'Aberdeen, dans les highlands. Son père avait obtenu une très belle promotion qui l'avait muté à Falmouth, à peu près exactement à l'autre bout du pays ! Cela restait la côte, mais le climat et les paysages étaient tellement différents... Lorsqu'elle est arrivée dans le quartier, sa façon particulière de rouler les "r" fit beaucoup rire ses nouveaux camarade de classe. Mais au lieu de s'en offusquer comme l'auraient fait les autres petites filles de son âge, elle rit de bon coeur avec eux. Sa nature sociable lui valut de se faire très rapidement de nombreux amis.

Très vite, elle fit la connaissance de ceux qui fondèrent avec elle le Club des Intrépides. Eva et Björm étaient ses voisins de gauche, arrivés le même été et pour les mêmes raisons : Monsieur Bergström avait également été engagé comme ingénieur à la nouvelle centrale nucléaire. Juste en face habitaient Sam et sa famille, les Mugley, installés ici depuis des générations. Le père de Sam était garagiste, et sa mère travaillait à la bibliothèque communale. Et deux maisons plus loin sur le trottoir d'en face vers la droite, c'était Bill Chapman, qui vivait seul avec sa mère. Elle était veuve d'un agent immobilier, décédé deux ans plus tôt d'une trombose, et il semblait que son défunt mari ne les eût pas laissés dans le besoin.

Le Club des Intrépides aurait tout aussi bien pu s'appeler le Club des Inséparables. Dès que l'école était finie (et les quelques devoirs expédiés), ils se retrouvaient à Snake Point. C'est ainsi qu'ils avaient baptisé le terrain vague qui formait la pointe d'un Y entre les deux rues principales du quartier. C'était aussi un peu un hommage au jour officiel de leur déclaration de serment du Club des Intrépides.
C'était Sam qui avait lancé l'idée...
_ Si on faisait un pacte ? Un pacte pour rester amis pour la vie...
_ Il dirait quoi, ton pacte ? lança Bill.
_ Et bien d'abord, il définirait les conditions d'accès au Club, il établirait le statut des membres, puis on aurait chacun un nom de code, que nous seuls connaîtrions... Qu'est-ce que vous en pensez ?
_ Moi, je trouve que c'est une bonne idée, approuva Björn. Et il faudrait qu'on passe tous une épreuve pour faire partie du Club.
C'est Eva qui trouva l'idée : on devrait chacun ramener un trophée qui ornerait la cabane que nous venions de construire, sur base de quoi, nous trouverions un nom pour notre club. On se donna rendez-vous le lendemain après l'école.

C'est Bill qui eut l'honneur de commencer. Il tenait entre ses mains une petite boîte en porcelaine bleue en forme de coeur sur laquelle trônait une minuscule souris blanche. Lorsqu'il souleva le couvercle, on pu y trouver quatre grosses molaires. Il s'expliqua : "Je n'ai jamais autant souffert de ma vie que ce jour où on m'a enlevé mes dents de sagesse... C'est mon offrande au club pour vous dire que pour vous, je serais prêt à tout endurer."

Il avait placé la barre assez haut. Amy se sentait un peu gênée avec sa tresse de cheveux ornée d'un ruban rose. "Un jour, ma mère était furieuse contre moi parce que je suis rentrée toute crasseuse de l'école. En fait, c'était pas de ma faute : j'avais mis, c'est vrai, ma robe du dimanche pour aller à l'école alors que Maman me l'avait interdit. Mais j'étais amoureuse de Henry, le petit nouveau de la classe, et je voulais l''impressionner. A la récré, Roby la teigne, s'était moqué de moi et m'avait poussée dans une flaque de boue. Quand Maman m'a vue dans cet état-là, elle m'a attrapée par les cheveux, m'a trainé jusqu'à la salle de bain, m'a plongée dans la baignoire et m'a aspergée d'eau froide. Dans sa rage, elle a empoigné sa paire de ciseaux et m'a coupé cette tresse en me disant que ça m'apprendrait à vouloir jouer les ingénues."

Björn et Eva avaient ramené une sorte de statue dorée où l'on voyait un couple de patineurs. "C'est notre coupe de champions de Suède de patinage artistique, catégorie juniors. Nous l'avons remportée l'année passée, juste avant de quitter notre pays pour venir ici. Depuis, nous n'avons pas vraiment pu nous entraîner et ça nous manque..."

Sam était tout rouge... Une goute de sueur perlait sur son front. Il semblait embarrassé. Il cachait ses mains derrière son dos depuis qu'il était arrivé, il voulait être le dernier à nous montrer son trophée. Il parlait d'un ton hésitant, voire balbutiant. Il avait vraiment une attitude bizarre. "Je... Je n'ai jamais été opéré... ni battu... ni sportif... Alors j'ai vraiment dû chercher un tr..." Soudain ses yeux se révulsèrent et il tomba à la renverse, laissant voir ce qu'il tenait dans sa main droite. Enfin, sa main droite ou ce qu'il en restait. Son bras était mauve, presque bleu et tellement gonflé que l'on devinait à peine que ce fut un bras de gosse et non pas un ballon de rugby. Il en sortait une sorte de corde noire d'un mètre cinquante. On n'a pas reconnu tout de suite la vipère qui gisait morte dans son poing. Ce n'est qu'en s'approchant pour voir ce qu'avait son bras que l'on a vu les dents encore plantée dans son poignet. Ni une ni deux, Björn et Bill entreprirent de le porter jusque chez lui pendant qu'Eva et moi courions prévenir quelqu'un.
L'ambulance arriva rapidement et il fût emmené à l'hôpital. Il y resta une bonne semaine.

Visiblement, son cas était grave, bien que ses jours ne fussent pas en danger. Lors de notre première visite, le docteur nous a expliqué qu'on ne mourrait pas d'une morsure de vipère. Mais le cas de Sam était néanmoins impressionnant car il présentait une réaction aigüe : l'oedème s'était étendu jusqu'au tronc. Les deux premiers jours, il oscillait entre perte de conscience et des douleurs abdominales atroces accompagnées de diarrhées incontrôlables. Ce n'était pas beau à voir.

Bill s'était arrangé pour obtenir un bocal de formol à l'école pour y mettre la vipère de Sam. Quand le miraculé revint à la cabane, il le trouva qui siégeait en bonne place au milieu des autres trophées. "Bienvenue au Club des Intrépides" lança Bill. "Enfin, si le nom te convient..." Sam acquiesca vivement "Trop cool!..."
"On t'attendait pour sceller le pacte", annonça Björn. Et il déroula une feuille de papier qu'il avait soigneusement trempée dans du thé avant de la laisser sécher pour en brûler les bords. C'est Eva, de sa plus belle écriture, qui avait calligraphié les quatre premiers articles du pacte. Il restait un emplacement prévu pour un cinquième. Eva entamma la lecture :
Article 1. Pour être un Intrépide, il faut montrer courage, loyauté et une amitié sincère et infaillible envers les autres membres du Club jusqu'à ce que la mort nous sépare.
Article 2. Aucune personne extérieure à ce Club ne peut être amenée à la cabane, à moins que l'ensemble des membres du Club ne soient d'accord pour en faire un nouveau membre.
Article 3. Les Trophées devront être protégés à tout prix. Chaque soir, chacun reprendra l'un des trophées chez lui pour veiller sur sa sécurité. Des tournantes seront organisées pour que chacun garde chaque trophée à tour de rôle.
Article 4. Le but de notre Club sera de veiller les uns sur les autres pendant toute notre vie. Si l'un de nous est dans le besoin ou a des ennuis, c'est le devoir des autres de l'aider à s'en sortir.
"Tu veux ajouter un article ?" demanda Eva. "Ben... il manque un cri de ralliement et un système de mot-de-passe. Que pensez-vous de :"
Article 5. Notre cri de ralliement sera "Intrépides mais pas sans cervelle, Irréductibles mais pas sans coeur" et nos mots de passe seront "Qu'est-ce qui se passe ? Le serpent cesse de siffler sournoisement."
Tout le monde opina du chef. Il ne nous restait plus qu'à tous signer.

(à suivre...)

dimanche 14 mai 2006

Le chant magnétique

Plus personne ne croit aux sirènes de nos jours... Il existe bien des représentantes du sexe féminin que l'on pourrait qualifier de "mi-femme, mi-thon", mais rien à voir avec les créatures de légende qui faisaient la terreur des marins, il n'y a encore pas si longtemps.

...Et pourtant.

J'ai entendu parler du témoignage d'un type qui aurait vu une véritable sirène, quelque part en Indonésie, il y a un an de cela. Il affirme qu'il a failli y laisser sa peau.

Théo et David étaient amis d'enfance. Et depuis la fin de cette tendre époque, ils avaient pris l'habitude de se retrouver chaque année pour un voyage un peu exceptionnel, "entre potes", histoire de retrouver le goût de l'aventure et des cabanes dans les bois qui avaient jalonnés leurs jeunes années. L'organisation du voyage était prise en charge une année sur deux par l'un des deux compères, et restait une surprise pour le second. Chaque année, c'était un peu l'escalade pour tenter d'étonner l'autre et de trouver les activités ou les destinations les plus farfelues.

Cela avait commencé il y a quinze ans de cela : Théo le premier avait proposé, au terme de leur première année d'études, qu'ils suivaient dans des universités différentes, de se retrouver le temps d'un week-end à la campagne. Faute de moyens et aussi parce que l'idée leur plaisait bien, ils optèrent pour le camping sauvage. L'année d'après, David emmena Théo dans un voyage en stop jusqu'à Marseille. Suivirent un séjour dans une maison soit-disant "hantée", une semaine dans un ancien bagne, un mois dans un kiboutz, un safari, un stage à Cap Canaveral, un trip en Islande, etc.

Cette fois, c'était au tour de David. L'an passé, Théo avait tapé fort avec son séjour d'une semaine perchés dans les cîmes des arbres de la forêt amazonienne, en compagnie d'une tribu aborigène qui ne posait jamais un pied au sol. David avait dû se creuser la cervelle pour trouver quelque chose d'au moins aussi impressionnant. Mais il avait réussi. L'idée n'était pas tout à fait de lui : il avait vu une publicité pour un séjour organisé sur une île déserte. "Robinson Life" que ça s'appelait. Mais il avait voulu pousser le réalisme un peu plus loin : à quoi ça sert d'être un robinson "encadré" ? Le croustillant de l'histoire n'est-il pas justement l'angoisse de ne pas savoir ce que nous réserve le lendemain ? Il a donc organisé lui-même son voyage. L'Indonésie, avec ses 13.000 îles dont la plupart son inhabitées, lui semblait une destination idyllique. Il prépara consciencieusement leur naufrage : après avoir réservé deux nuits dans une boutique-hôtel à Lombok, il avait déniché un petit bateau à voile, presque une barque, qui ne payait pas de mine. Ils avaient embarqué un matin à l'aube et avaient pris la direction du nord est pour descendre un peu plus vers les petites îles. Puisque c'était supposé n'être qu'une expédition d'un jour, Théo et lui n'avaient emporté que quelques vivres, de l'eau pour la journée, leur matériel de snorkling et un T-shirt de rechange. Le bateau avait été loué avec son matériel de pêche : canne à pêche rudimentaire, harpon rouillé, un filet dont on aurait dit qu'il était plutôt fait pour attrapper les papillons et une petite hache, sans doute destinée à dépiauter les gros poissons... Il y avait aussi une paire de rames, au cas où le vent ferait défaut. David avait quand-même prévu une petite pharmacie en cas de pépin, et son couteau de plongée. Arrivés au large d'un chapelet d'îles plus minuscules les unes que les autres, il s'empara de la hache et commença à frapper la coque. Théo ouvrit grands les yeux de frayeur.

_ Mais qu'est-ce que tu fous ? T'es complètement fou?!?

L'eau commençait à s'infilter. David lui jeta un regard plein de malice en claironnant avec un grand sourire :

_ C'est ici que l'aventure commence !

Théo, connaissant son vieil ami, eut directement un éclair de compréhension. En moins de deux, il avait rassemblé ses affaires, enfilé son gilet de sauvetage et jeté un regard circulaire sur le bateau pour détecter tout objet qui pourrait leur être utile. L'eau leur arrivait maintenant au niveau de chevilles.

_ On pourrait au moins tenter de rejoindre cette île avec le bateau ? J'écope et tu rames... proposa Théo avec sang-froid. Si on n'y arrive pas, avec un peu de chance on sera au moins dans les eaux moins profondes et on pourra revenir chercher du matériel dans l'épave...

_ Si tu veux, répondit David, toujours le sourire aux lèvres. Et il commença à pagayer joyeusement, pendant que Théo s'évertuait tant bien que mal à évacuer l'eau à l'aide d'un seau.

Mais au bout de cinq minutes, le bateau était devenu trop lourd, il n'avançait presque plus. Ils durent abandonner la partie et rejoignirent la rive la plus proche à la nage. Théo avait eu un éclair de génie en suggérant de se rapprocher de l'île, car les fonds étaient effectivement peu profonds à cet endroit.

Arrivés sur la plage, Théo se retourna sur David et explosa :

_ T'es vraiment un grand malade ! Tu te rends compte que personne ne sait où nous sommes et que nous n'avons aucun moyen de contacter des secours ?
_ C'est justement ça, l'aventure ! Où serait l'intérêt si nous savions d'avance comment nous en sortir ? Là, on va pouvoir expérimenter la vraie survie, pas un erzatz de Robinson made in Club Med...
_ Bon ben moi, pour commencer, je vais retouner à l'épave pour récupérer ce qui est récupérable, avant que le courant n'ait tout emporté.
_ Excellente idée ! Pendant ce temps, je vais tracer un grand "HELP" sur la plage, comme dans le film avec Tom Hanks.

_ Cet imbécile est mort de rire, rumina Théo en se dirigeant vers les vagues.

A la nuit tombante, ils avaient fait le tour de l'île, déterminé l'endroit de la plage d'où ils avaient le plus de chances d'être aperçus par un beateau de passage, ramassé du bois à l'aide de la petite hache qui avait servi à percer la coque et construit un abris de fortune avec la voile que Théo avait eu beaucoup de mal à ramener de l'épave. Ils s'apprêtaient à allumer un grand brasier pour qu'on puisse les repérer de loin.

_ T'as du feu ? demanda Théo.
_ Ben non, tu sais bien que je ne fume pas.
_ Mais sachant ce que t'allais faire, t'aurais pu au moins prévoir le coup, non ?
_ Oué mais justement, c'est pas drôle si tout est prévu d'avance, je n'ai emmené que le matériel que j'aurais pris pour une excursion normale d'une journée, pour faire plus "réaliste".
_ Je t'en foutrais du réaliste, moi. Non mais qu'est-ce qui t'es passé par la tête ? Comment on va faire, je te le demande ?
_ Te tracasse pas, je les ai vus faire à la télé. Tu prends trois bouts de bois, une ficelle et hop ! Le tour est joué.
_ Eh ben je te laisse faire alors, puisque c'est toi le spécialiste. Je voudrais bien voir ça...

Du coup, ils passèrent leur première nuit sans feu.

Le lendemain, David décida d'aller à la pêche pendant que Théo tenterait d'allumer un petit tas d'herbes séchées à l'aide de son masque de plongée. Le succès fut au rendez-vous. Dès qu'il vit la fumée, il déposa précautionneusement son tas d'herbes sur un tas de brindilles, sous un échaffaudage de petit bois, lui même sous une pyramide de bûches récoltées la veille. Le tout forma un magnifique brasier, qui se consummait très rapidement. Théo se rendit compte qu'il lui fallait très vite réapprovisonner le feu et qu'ils n'auraient pas assez de bois. Il entreprit donc de faire un sérieuse réserve.

Pendant ce temps, David profitait de la vue magnifique qu'offrait le récif : poissons clowns, poissons scorpions, anémones, étoiles de mers, tortues géantes,... toute cette faune sous-marine l'emplissait d'admiration et il ne parvenait pas à se résoudre à en tuer un. C'était trop beau. Au bout d'une heure, il revint sur la plage, où il trouva Théo en train de constituer une montagne artificielle en bois, juste à côté d'un feu qui crépitait doucement.

_ T'es décidément un génie, comment tu as fait ?
_ Comme il fallait. Et toi, tu n'as rien trouvé ?
_ Ben si, ça grouille de vie là-dedans, si tu voyais comme c'est magnifique... Mais je n'ai pas eu le courage de foutre tout ça en l'air avec mon harpon. Tout est si paisible là-dessous...
_ Mais putain ! J'ai vraiment l'impression que tu ne réalises pas une seconde dans quelle merde tu nous a fourrés. Personne ne sait où nous sommes, des îles comme celles-ci, il en existe des milliers dans le coin. Chez nous, ils n'attendent pas notre retour avant quinze jours et c'est pas à l'hôtel qu'ils vont se tracasser de notre absence. C'est bien simple, si on ne bouffe pas, on crève, connard !

Théo était vert de rage. Tout ce que cet abrutit avait fait depuis le début de cette aventure, c'était de percer la coque du navire dans lequel ils étaient tranquillement occupés à faire une jolie petite promenade exotique. Leur réserve d'eau potable était déjà presque épuisée. Leur casse-croûte de la veille, bien qu'emballé dans un sac en plastique, avait pris l'eau. Bref, ils n'avaient rien mangés depuis 24 heures et n'auraient bientôt plus rien à boire et dieu sait pour combien de temps ils allaient restés coincés ici. Il fallait agir.

Il se souvint vaguement d'un truc qu'il avait appris chez les scouts pour transformer de l'eau salée en eau potable : il lui fallait un seau, un récipient plus petit qui entre dedans, et qu'il stabiliserait à l'aide d'une pierre, un sac en plastique et un petit caillou. Il posa la bouteille dont il avait coupé le goulot dans le fond du seau métallique qu'il avait récupéré de l'épave, rempli le seau d'eau de mer tout autour de la bouteille (c'est là que la pierre est importante, pour éviter que la bouteille ne se renverse), recouvrit le tout à l'aide du sac en plastique qui avait autrefois contenu leur pique-nique, le maintint avec des noeuds et posa un petit caillou en son centre, afin de provoquer une pente en son millieu, qui pointe vers la bouteille. L'eau de mer, en s'évaporant, devrait laisser son sel dans le fond du seau et former des goutelettes sur le plastique, qui retomberaient ensuite dans la bouteille, déchargées de leur sel. Pourvu que ça marche...

A la fin de l'après-midi, il avait obtenu un peu d'eau non salée, chaude et pas très bonne, mais c'était mieux que rien. Ce qu'il n'avait pas pensé, c'est qu'il valait mieux faire bouillir ce genre d'eau avant de la consommer. Il furent tous les deux pris de coliques abominables pendant la nuit. Le lendemain, il réitéra l'expérience, mais cette fois, veilla à faire bouillir l'eau.

Ils en étaient à leur quatrième jour. Leur feu tenait bon et ils allaient régulièrement chercher du bois pour l'alimenter. Aujourd'hui, un crabe était littéralement venu se proposer au menu. Ils n'en avaient fait qu'une bouchée. Ils n'avaient plus échangé beaucoup de paroles depuis l'échec de la pêche, la veille. Théo avait repris le flambeau et avait lui-même été pêcher quelques coquillages.

Cette nuit-là, David se réveilla en sursaut. Il lui avait vaguement semblé entendre quelque chose. Théo s'était réveillé lui aussi, et semblait tout aussi hébété. Ce n'était donc pas un rêve.

_ Toi aussi, tu as entendu ?
_ Je sais pas, j'ai entendu un truc, je croyais que c'était dans mon sommeil. On aurait dit une sorte de mélodie. C'est peut-être des baleines ou des dauphins...
_ Chut, écoute !

Tous deux tendaient l'oreille pour essayer d'entendre ce son étrange à nouveau, mais ils n'entendirent plus rien. Ils se rendormirent.

Un peu plus tard, la même nuit, la mélodie se fit entendre à nouveau, un peu plus précise et plus lancinante. Cette fois, aucun des deux ne put refermer l'oeil de la nuit. Ils se prirent à attendre la prochaine apparition de cette voix mystérieuse. Car il s'agissait bien d'une voix, ils en étaient sûrs maintenant. Ils n'avaient plus échangé un mot depuis des heures. Le chant devenait à chaque fois plus puissant. Il se répétait à intervalle régulier, disons toutes les demi-heures environ.

Bientôt ils se retrouvèrent debout sans même réaliser qu'ils s'étaient levés. Ils se dirigeaient tous deux à présent vers ce qui leur semblait être l'origine du son : l'écume qui froufroutait un peu plus loin, là où la faible lumière qui émanait encore des braises rougies cédait le pas aux ténèbres.

Ils n'étaient plus vraiment conscients de ce qu'ils faisaient. Le reflet de la lune dans les replis de la mer dessinaient dans leurs esprits embrumés des formes psychédéliques où ils devinaient des scènes érotiques : ici deux femmes enlacées dans un corps à corps sensuel, là un couple partageant des caresses d'amour, ... Déjà l'eau tiède léchait leurs pieds dans leur va et vient languissant.

C'est alors qu'un oursin leur sauva la vie. Les aiguilles venimeuses s'enfoncèrent profondément dans la plante du pied gauche de Théo. La douleur fulgurante le ramena immédiatement à la réalité, et ce qu'il vit le glaça d'effroi. Une chose indescriptible, une horreur sans nom, se dirigeait droit sur eux... Enfin, sur David en premier, qui l'avait devancé un peu. La chose ne semblait être qu'une bouche immense, pleine de dents dont on voyait pendouiller les reliefs de ce qui devait être un précédent repas : des bouts de chair putréfiés dont il préféra ne pas essayer de deviner s'ils étaient humain ou non. Cette chose nous attendait patiemment, l'étrange mélodie continuant à s'échapper du gouffre qui lui servait d'orifice buccal, persuadée qu'elle était de son pouvoir hypnotique.

_ David, casse-toi de là ! hurla Théo à plein poumons.

David tourna vers lui un regard surpris. La bête, ayant compris que ses proies étaient en passe de lui échapper, fonça droit sur celle qui était la plus proche. Dans un sursaut de lucidité, Théo, malgré la douleur qui pulsait déjà dans sa jambe et remontait vers sa hanche, se jeta en avant pour attraper le bras de David et tira en arrière de toutes ses forces. Tous deux trébuchèrent et tenèrent de rejoindre la sécurité de la plage à quatre pattes. Ils sentirent un souffle glacé leur envelopper les chevilles, mais ne pouvaient se retourner pour regarder ce qui s'apprêtait à les dévorer vifs.

Alors qu'ils s'attendaient à ressentir des lames affûtées lacérer leurs jambes, la mélodie s'arrêta net. Ils avaient rejoint la sécurité du halo lumineux. Leur coeur battait à tout rompre. Quand David se rendit compte que la dernière flamme vacillait, il eut la présence d'esprit de relancer le feu en y ajoutant une bûche et un peu de petit bois. La lumière vive semblait chargée de magie. Ils se sentaient en sécurité, comme sous un bouclier thermique, invisible mais impénétrable.

Le soleil finit par se lever sur cette nuit d'horreur. Le pied de Théo était enflé, la fièvre s'était emparée de lui. Il délirait maintenant. David, qui n'osait plus s'approcher de l'eau, même si à la lumière du jour elle semblait paisible et inoffensive, épuisa toutes les réserves d'eau potable pour soulager le mal qui le rongeait.

Soudain, une créature sortit de l'eau. David poussa un cri d'horreur.

_ Du calme, qu'est-ce qui vous prend de hurler comme ça ?

La fille portait un bikini turquoise, son masque de plongée relevé sur son front et des palmes aux pieds, elle avait l'air interloquée par l'image qui s'offrait à elle : un garçon allongé, fiévreux, et un autre garçon penché sur lui, occupé à lui éponger le front, à côté d'un feu mourant.

Absorbé qu'il était par les soins qu'il prodiguait sans relâche à son ami, David n'avait pas vu le yacht lâcher l'encre à quelques encablures de leur petite île. La fille dû ramener le canot de sauvetage pour les faire monter à bord : ils ne supportaient pas l'idée de mettre un pied dans l'eau. Théo délirait. Il n'était pas capable de pronconcer une phrase censée. Ses élucubrations se transformaient parfois en hululements sordides, parfois en sanglots déchirants.

C'est sur le chemin les menant à l'hôpital que David m'a raconté leur histoire...

samedi 29 avril 2006

Sacrée Yvette !

Yvette est une adorable "petite vieille" comme on dit. De beaux cheveux blancs, qu'elle ramène en un chignon discret et élégant, encadrent son visage illuminé en permanence d'un large sourire. Les pattes d'oie au coin de ses yeux donnent à son regard pétillant une touche de douceur supplémentaire. Très digne dans ses jolis tailleurs en tweed, elle a de l'allure et porte ses quatre-vingt deux ans avec une classe incomparable. Toujours un mot gentil pour ceux qu'elle rencontre, ceux qui la côtoyent la considèrent comme un exemple de bonté.
Une fois par semaine elle passe aider le père Georgin à mettre un peu d'ordre dans son église : changer les cierges, vider le tronc, remettre les carnets de chants en ordre,...
Veuve d'un riche entrepreneur, elle a hérité d'une fortune confortable. Elle partage désormais son temps entre son club de bridge, l'église, ses arrières petits-enfants et le shopping.

Mais Yvette a un vice...

Elle adore voler, chipper, piquer des trucs dans les magasins. Cela lui procure un sentiment d'excitation qui la met en joie. Même si elle ne manque de rien, Yvette ne peut résister à empocher ici un chocolat, là une pince à épiler,... Ce dont elle rafole par dessus tout, c'est parvenir à voler au nez et à la barbe des caissières, dans les présentoirs à bonbons. Ou mieux : des cigarettes ! Elle ne fume pas, mais ils font tant d'efforts pour éviter qu'on ne les vole, avec leur présentoirs qui s'ouvrent sur demande... Alors souvent, elle en profite pendant qu'une personne devant elle se sert pour en prendre un ou deux paquets, qu'elle refile à la sortie à un vagabond qui fait la manche.

Cette manie l'a prise peu après le décès de son époux, Robert, il y a maintenant deux ans de cela. Au début, elle s'est bien interrogée sur les raisons qui la poussaient à faire cela, mais n'y trouva pas de réponse satisfaisante et laissa tomber la question. Jamais elle n'osa se confier directement au père Georgin, c'est pourquoi elle se confesse désormais deux fois par semaine : l'une chez le père Georgin, et l'autre dans une paroisse un peu plus éloignée, où elle ne connait personne.

Un jour qu'elle sortait de cette seconde confession, tête baissée et au petit pas de course, comme à son habitude, elle entra en collision avec un homme qui se déplaçait à l'aide d'une canne et le renversa.

_ Mon Dieu ! Je suis vraiment navrée, lui dit-elle tout en l'aidant à se relever. Je ne vous avais pas vu, j'étais...
_ Pressée, d'après ce que j'ai pu voir, lui répondit-il sur le ton de l'humour. Ce n'est rien, ne vous en faites pas. Ce vieux corps rabougris en a vu bien d'autres et qui plus est, puisque cet incident me permet de faire la rencontre d'une jolie dame, qu'il soit béni !

Yvette senti ses joues rosir sous la surprise du compliment. Pour ne pas laisser filtrer son trouble, elle enchaîna l'air de rien.

_ Vous êtes sûr que ça va ? Oh regardez-moi ça... votre manche s'est un peu décousue à l'épaule. Si vous permettez, je vais vous réparer ça sur le champ. J'ai toujours du fil et une aiguille sur moi.
_ Non, non, ce n'est pas la peine, je vous assure.
_ Ah mais si, j'insiste !
_ Bon, si vous insistez, je ne peux pas lutter. Mais ne restons pas ici, voulez-vous ? Pourquoi ne pas en profiter pour s'installer autour d'une bonne tasse de thé ? Je connais un salon à deux pas d'ici où ils servent d'excellentes tartes aux pommes.

Et c'est ainsi qu'Yvette fit la connaissance de son nouvel ami. Coïncidence ou non, il s'appelait Yvon. Veuf lui aussi, il avait été matelot dans la marine anglaise à l'âge de seize ans, pendant la seconde guerre mondiale. Il s'était engagé volontairement en Grande Bretagne car il était trop jeune que pour qu'on l'accepte au pays. Après la guerre, il avait travaillé dans l'usine de son père et lorsque le moment fut venu, il en devint le patron avec ses deux frères. Il eu une femme charmante qui lui donna trois beaux enfants avant de mourir d'une trombose à l'âge de 54 ans.

Yvon avait un don pour raconter les histoires. Elle l'écouta parler deux heures durant lors de cette première rencontre, alors que le reprisage de l'épaule décousue ne lui prit que quinze minutes. Ils convinrent de se revoir le dimanche suivant, à la même heure.

Yvette se surprit à décompter les jours, impatiente qu'elle était de l'écouter encore. Le dimanche après-midi devint leur jour officiel de rendez-vous. Vu de l'extérieur, le spectacle était adorable. La tenancière du salon de thé qui hébergait leurs amours naissantes adorait les voir arriver l'un après l'autre, dans leurs plus beaux atours, le rose aux joues et le regard impatient. Rosaline, car c'est ainsi qu'elle s'appelle, en tenait d'ailleurs un compte-rendu hebdomadaire à ses amies du club de lecture. Plusieurs d'entre elles l'avaient poussée à en écrire une histoire.

Puis un jour, Yvon ne fut pas au rendez-vous. Depuis deux ans que durait cette relation, ça n'était jamais arrivé. Après l'avoir attendu près d'une heure, en se trouvant toutes les excuses possibles (il a reçu une visite impromptue, il s'est plongé dans une lecture prenante qui lui a fait oublié l'heure, ...), Yvette dû admettre ce que son coeur savait déjà. Elle ne reverrait jamais plus Yvon. C'est alors que les larmes se mirent à couler. Elle se rendit compte que depuis leur rencontre, elle n'avait plus jamais ressenti le besoin de voler, car les papillons qui voltigeaient dans son ventre dans l'attente du dimanche étaient bien suffisants. Elle se rendit compte qu'elle n'avait jamais songé à l'embrasser mais qu'aujourd'hui elle donnerait n'importe quoi pour être dans ses bras. Elle se rendit compte que bien qu'elle se soit interdit toute pensée impure, elle aurait voulu se donner à lui. Et les larmes coulaient, coulaient. Rosaline tenta bien de la consoler mais devant tant de tristesse elle était impuissante. Elle raccompagna Yvette chez elle, l'aida à se déshabiller et à se mettre au lit. Yvette pleurait toujours. Rosaline promit de passer le lendemain matin pour lui apporter le petit déjeuner. Ce qu'elle fit.

Mais personne ne répondit à ses coups de sonnette, et ce fut son tour de pleurer.

dimanche 9 avril 2006

La paresse

"Paresse" est un bogue informatique, qui encrasse vos circuits, ralentit votre processeur et peut provoquer des pannes de système, telle "Erreur 642 - sieste impromptue". Il empêche souvent le bon déroulement de certaines tâches répétitives comme "ménage.exe". Le seul antivirus développé à ce jour pour combattre "Paresse" est "Volonté". Mais sans mises-à-jour du type "Motivations", "Volonté" perd de son efficacité contre la virulence de "Paresse".

vendredi 7 avril 2006

Les voeux que l'on formule

Quand j'étais gamine, chaque fois que l'occasion m'était donnée de faire un voeu, je souhaitais devenir une fée. Avec ma baguette magique, je pourrais faire ce qu'il me plaît (et surtout m'accorder tous les voeux du monde)! J'imaginais que la première chose que je ferais, c'était de faire disparaître tous les adultes : plus d'école, plus d'interdictions, plus d'obligations,... On aurait passé nos journées à jouer, puis j'aurais fait pousser des bonbons dans les arbres,...

Ouais... Ca c'était systématique. Je faisais toujours le même voeux. Ca a duré longtemps.

Aujourd'hui, j'ai changé de voeu. Je veux gagner à Euromillion. Ca me paraît plus accessible, non? J'offrirais un million à chacun des membres de ma famille, puis j'achèterais une ou deux belles maisons avec piscine, je prendrais régulièrement de fabuleuses vacances dans des hôtels magnifiques (genre le Royal Pita Maha en Indonésie, mais encore mieux!), et je vivrais de mes rentes.

Puis si je devais choisir un voeu encore plus raisonnable, je souhaiterais pouvoir acheter la petite maison de nos rêves et y voir grandir des enfants. Un beau jardin, dans lequel on construirait une piscine quand on aurait mis un peu de sous de côté, et une belle terrasse pour de longs dîners dans le soleil couchant en été.

Voyons lequel des trois se concrétisera en premier... ;)

jeudi 6 avril 2006

Je suis un enzyme glouton

Comment se réveille-t-on un matin, transformée en enzyme glouton ?

C'est vrai, j'avais tendance au grignotage impulsif ces derniers temps. Mais ce matin, au réveil, le monde autour de moi avait changé : tout était gigantesque, je ne parvenais pas à trouver la sortie de la couette qui m'écrasait. Il m'a fallu escalader mon oreiller pour atteindre enfin l'air frais du dehors. La table de nuit avait des airs d'Empire State Building au sommet duquel les chiffres 07:03 iradiaient leur lumière rouge.

Alors que j'avais encore du mal à desceller mes yeux (mais était-ce encore des yeux ? Il me semble ne plus avoir vraiment de paupières... seulement une espèce de gélatine gluante qui obscurcit ma vision), mon regard se posa sur mes mains. Ou plutôt, mon absence de main. Je n'avais pas de pieds non plus. J'avais du mal à appréhender la forme qu'avait pris mon corps : on aurait dit un agglomérat d'excroissances verdâtres et mouvantes.

J'aurais dû attrapper la nausée à la vue de ce que j'étais devenue... Mais j'avais faim ! A mesure que je prenais conscience de mon changement, mon appétit grandissait. Sur l'oreiller où je me trouvais encore, une petite flaque graisseuse attira mon attention : il s'agissait apparemment d'un peu de cérumen. A l'oeil nu, quand on a une taille normale, on ne se rend même pas compte de ce phénomène, mais en dormant l'oreille écrasée conte un coussin, un peu de cette matière cireuse se dépose sur la taie. J'étais effrayée par ce que je ressentais en ce moment : je salivais ! Enfin, si on peut appeler ça comme ça... En fait, je suintais plutôt, étant donné que je n'avais pas de bouche. Je me suis approchée de cette flaque de cérumen et me suis vautrée dedans pour m'en repaître. J'étais à la fois dégoûtée par ce que j'étais devenue et excitée par le festin qui m'attendait encore : ici un peu de morve, là une coulée de bave,...

Lorsque je sortis enfin de cet affreux cauchemar, une seule idée m'obsédait :
"Je ne veux pas devenir un enzyme glouton !"

C'est décidé : demain, je me mets au régime !

mercredi 5 avril 2006

Et un monde sans Stephen King alors ?

Bon, je revendique clairement le plagiat sur cette idée. Mais la récente sortie de "Jean-Philippe" (tellement récente qu'ele date d'aujourd'hui même) m'a inspiré cette même réflexion au sujet d'autres personnalités.
Vu que l'exercice me semble fort risqué pour un simple billet d'humeur du jour d'une vingtaine de lignes, j'ai préféré éviter les sujets trop polémiques du style : un monde sans Mère Thérésa ? Sans Jean-Pierre Foucault ? Sans G.W. Bush ? Sans Gandhi ? Sans Hitler ? Sans Jésus ? Sans Darwin ? Sans Freud ? Sans Sandra Kim ? ...

... Mais sans Stephen King ???

Vous imaginez ? Personne n'aurait jamais évité les bouches d'égouts de peur qu'un clown mangeur d'enfants ne le dévore. Personne n'aurait jamais eu peur de se retrouver seul dans un couloir d'hôtel désert. Personne n'aurait jamais recroquevillé les jambes de douleur, le soir dans son lit, en imaginant le coup de massue qui broya les chevilles de Paul Sheldon. Personne n'aurait sursauté lorsqu'un moteur démarre inopinément dans un parking supposé désert.

Et moi, je n'éprouverais probablement plus le besoin de courir avec le coeur battant pour rejoindre mon lit lorsque je me lève la nuit pour aller soulager un besoin pressant.

mardi 4 avril 2006

Victime de la mode

Mélanie ne peut pas résister à une bonne promo... Quand elle reçoit dans sa boîte aux lettres une offre "exclusive" en provenance de La Redoute, Yves Rocher ou le Grand Livre du Mois, elle s'empresse de faire son choix. Elle aime remplir les cases du bon de commande, même si elle ne l'envoie pas : elle préfère commander par internet, c'est plus immédiat. Et si il y a des trucs à coller dessus, c'est encore mieux ! C'est à peu près aussi jouissif pour elle que de remplir un quizz ou un test de personnalité dans un de ses magazines féminins favoris.

Elle craque pour le moindre cadeau : un plaid hideux qu'elle n'utilisera jamais, une bague digne d'un oeuf Kinder, une mini-radio-lampe-de-poche, ...

Ses coordonnées sont reprises dans toutes les banques de données les plus vendues, elle collectionne les cartes de fidélité, chaque mois une nouvelle société de vente par correspondance essaye de lui vendre ses produits.

Son facteur la hait. Elle reçoit chaque semaine des tonnes de courrier publicitaire, des catalogues, des colis, ... Il ne parvient jamais à tout mettre dans sa boîte aux lettres, elle ne répond pas quand il sonne, il doit repasser plusieurs fois, ...

Dernièrement, elle a commandé une cure d'amincissement miraculeuse. Le colis était énorme : on aurait dit une caisse de déménagement ! A l'intérieur : des gélules à prendre une demi-heure avant de manger, des substituts de repas, des patchs minceur, un gel anti-cellulite, un appareil à palper-rouler, un livre de recettes et un CD d'auto-hypnose. Si avec ça, elle ne perd pas ses 12 kilos superflus... Ce qui est sûr, c'est qu'elle y a au moins perdu 852,50 €, payés comptant.

Et le facteur, lui, y a perdu la vie... Dans le journal, un entrefilet décrivait les faits en ces quelques mots :

"Tué pour 852,50 €
Un facteur, qui venait d'encaisser l'argent d'une livraison, s'est fait
lâchement assassiner d'un coup de couteau dans le ventre, alors qu'il rentrait
au bureau de Poste à la fin de son service. Des témoins de la scène ont expliqué
avoir vu une bande de jeunes l'encercler avant de commencer à le malmener. On ne
sait comment les événements se sont enchaînés, ni ce qui a pu pousser l'un des
jeunes à sortir son couteau. Toujours est-il que tout d'un coup, le facteur
s'est écroulé. Le coup de couteau, probablement donné par simple haine puisque
le facteur avait déjà donné tout l'argent dont il était en possession, a touché
le foie. Le temps que les secours parviennent sur les lieux du crime,
l'hémorragie était trop avancée et les médecins ne purent que retarder le décès,
qui survint peu après son admission aux urgences."

lundi 3 avril 2006

Orgueil et humilité...

Ah qu'il est bon de pouvoir tempérer son orgueil par un petit retour à la réalité ! Je vous avais parlé de mon échange avec I.D. Malgré que je puisse me douter qu'en interpelant quelqu'un par e-mail avec une telle requête j'encourrais le risque d'une telle réponse, je n'ai pu supporter de la recevoir. Irène Delse (puisque c'est d'elle qu'il s'agit) m'a recontacté ce soir par e-mail pour mettre certains points sur les i.

Elle me fait remarquer non sans raison que la blogosphère a ses usages, dont j'ignore encore la plupart vu ma toute récente intrusion dans cet univers.

Elle a également la gentillesse de m'avertir que mon blog est mal configuré, puisque jusqu'à présent, seuls les utilisateurs de blogger étaient autorisés à poster des commentaires. Ceci devrait normalement être réglé.

Il est juste qu'elle me reproche mon impatience à vouloir tout tout de suite, en voici donc une brillante illustration ! (Comme quoi je ne vous mentais pas...)

Vous avez donc assisté presque en direct à mon premier contact avec une autre personne dans la blogosphère... Je dirais : peux mieux faire !

Vous me croirez ou non, mais ce soir, je me sens un peu bête et j'ai le rouge qui me monte au joue, comme une apprentie journaliste qui aurait posé une question stupide lors de sa première conférence de presse... Alors je vais faire comme cette apprentie journaliste et déglutir, souffler un bon coup et poser une seconde question, en espérant qu'elle soit mieux formulée et plus pertinente.

En attendant, voici une réaction constructive de la part d'Irène : Petit blogueur deviendra grand...


dimanche 2 avril 2006

Un simple professeur

Demain est un grand jour. A 65 ans, Mathieu reçoit le prix qui récompense sa carrière, sa vie. Pendant toutes ces années, il a enseigné avec toute la passion dont il était capable les lettres à des milliers d'étudiants, il a consacré le reste de son temps à sa communauté, à s'occuper de sa mère. L'enseignement et le partage du savoir furent son sacerdoce. Sa récompense : donner le goût de l'écriture à l'un, élargir la vision étroite de l'autre, faire tomber un a priori,...

Et demain, il doit recevoir un prix. Un prix pour toute une vie. Ses pairs vont l'encenser, il y aura de beaux discours très émouvants, un bon repas, et des centaines de gens pour l'honorer. On dirait un peu une oraison funèbre à laquelle il aurait la chance d'assister de son vivant.

Mathieu n'arrive pas à trouver le sommeil. Il n'a pas réussi à mettre un point final à son discours. Comment accepter ce genre de prix ? Comment dire merci sans paraître ronflant ? Comment traduire une si longue et si enrichissante expérience en un tout petit discours de 3 minutes ?

"Merci. Merci à vous tous d'être ici ce soir. Il n'y a pas de mots pour vous dire l'émotion qui est la mienne aujourd'hui. "


Non, non. Banal, plat, déjà entendu...

"Je ne sais que vous dire. Tout cela me semble tellement excessif."


Non, définitivement non. Ca sonne comme de la fausse modestie.

"Je n'irai pas par quatre chemins. L'honneur que vous me faites aujourd'hui est tout simplement..."


Grrrr... Bon, il n'y a plus qu'à se résigner. De toute évidence, rien de bon ne sortira plus ce soir. Mathieu s'endormit en espérant que le lendemain serait plus prolifique.

Et il ne put jamais le vérifier. Dans la rubrique nécrologique, on a pu lire que ce professeur émérite rendit son dernier souffle dans son sommeil, à quelque heures de la soirée de consécration de sa carrière. Pour son oraison funèbre, les centaines d'invités au dîner de gala avaient fait le déplacement, accompagnés de centaines d'autres amis, voisins, famille, anciens élèves. Les discours furent émouvants et élogieux, avec certains accents de consécration pour certains.

samedi 1 avril 2006

Préservez-moi de l'orgueil des écrivains...

Je ne sais plus exactement en quels termes Natalie Goldberg avait exprimé que ce qui meut un écrivain est son orgueil. Car il est vrai, si l'on écrit, c'est pour être lu. Et si j'ai choisi le blog comme support pour mes exercices d'écriture, c'est que le cahier ne me procurait pas le plaisir de partager le fruit de mes délires. Je suis en quête de lecteurs... Certains amis, mon mari, ma soeur m'ont déjà fait l'honneur de leur visite sur ces pages, mais en une semaine de vie, forcément, ce blog n'a pas vraiment attiré grand monde.

Alors je m'étais mis en tête cette idée probablement un peu incongrue : pourquoi ne pas inviter d'autres gens, intéressés par l'écriture, connaissant sans doute les mêmes déboires que les miens, des écrivains - débutants ou confirmés - à partager leur avis en les invitant à venir consulter mon blog ? Péché d'orgueil, sans aucun doute.

Je me suis mise en quête de blogs d'écrivains. Le premier résultat de ma recherche tombe sur le site d'une certaine I. D., qui va publier son premier roman ce mois-ci si j'ai bien compris... Après avoir parcouru son blog, je me rends compte que nous avons pas mal de références en commun : Tolkien, King, ... Elle semble aussi entretenir des correspondances électroniques avec ses lecteurs. Cela m'encourage à lui adresser un e-mail, en cliquant sur le bouton "écrivez-moi" (elle ne semble donc définitivement pas contre le principe).

Dans ce courrier, je commence par m'excuser de cette intrusion, et après avoir souligné les quelques indices qui m'ont poussé à lui écrire à elle plutôt qu'à une autre, je lui propose de venir jeter un oeil à mon blog. Son avis m'intéresse. Et puis si par chance ça devait lui plaire, peut-être pourrait-elle recommander mon blog à ses lecteurs ? En quelque sorte, une prise de contact probablement un peu directe et trop "intéressée". J'aurais sans doute dû commencer par tenter de nouer une relation plus "profonde" en m'intéressant d'abord à son écriture.

La réaction a été très rapide : cela ne l'intéresse pas. Ce qui est tout à fait compréhensible. Néanmoins, je fus quelque peu déçue par le ton qu'elle employa pour faire passer ce message - que j'ai ressenti comme hautain et sec - me renvoyant à un post de son site que j'avais déjà lu comme si ça pouvait répondre à mon besoin d'avis extérieur : un post sur "comment devenir écrivain", résumé des 32 bouquins déjà rédigés sur la question... Je suis sans doute amère - c'est que mon orgueil de bébé-écrivain en a pris un coup - mais j'ai vraiment eu l'impression que son orgueil à elle, par contre, était en pleine forme...

I.D., si piquée par la curiosité tu décidais de me lire, excuse-moi. Le but de ce post n'est pas de t'incendier, mais c'est tout ce que je suis parvenue à écrire ce soir. Je n'ai pas de rancoeur, seulement une grande frustration liée au sentiment d'écrire pour personne.

vendredi 31 mars 2006

L'odeur des livres

Des innombrables pièces de cet immense édifice, c'est la bibliothèque qui fascine le plus Ernie. Celui que les habitués surnomment avec tendresse "Ernie le gentil" en raison de son léger handicap pourrait passer des heures à la tombée de la nuit, lorsque seuls les stagiaires et quelques avocats consciencieux font encore du zèle, à traîner entre les rangées de livres.

Attaché à l'entretien du Palais de Justice depuis 22 ans, Ernie en connaît le moindre recoin par coeur. Il pourrait nettoyer les marches du grand escalier les yeux bandés; il pourrait reconnaître les portes de chacune des différentes chambres du tribunal sur un enregistrement sonore rien qu'au grincement que produisent leurs charnières respectives; il pourrait vous dire sans réfléchir le nombre de carrelages que contient la salle des pas perdus;...

Un soir, un stagiaire préparait sa toute première plaidoirie qui devait avoir lieu le lendemain matin. Il était déjà passé 22h. Malgré l'interdiction de manger dans la bibliothèque, les reliefs d'un sandwiche entammé côtoyaient les piles de livres derrière lesquelles l'avocat en herbe planchait depuis des heures. Encore plein de conviction, le jeune pro deo craignait que son client ait à souffrir de son manque d'expérience. Ce dernier risquait une peine de trois ans de prison pour avoir envoyé un type à l'hôpital. Mais selon ses dires, le type en question avait bien mérité son sort : il avait tenté de violer la soeur du prévenu. Histoire classique : sortie en boîte de nuit, le grand-frère surveille sa soeur du coin de l'oeil. Quand il la voit disparaître au fond de la salle, il part à sa recherche. Il la retrouve dans la cour arrière, occupée à se débattre, allongée par terre sous le poids d'un grand gaillard qui lui baillonnait la bouche d'une main et fouillait dans sa culotte de l'autre. Son sang n'a fait qu'un tour. Il a ramassé une barre de fer qui se trouvait là, parmi l'amoncellement d'ordures que des propriétaires peu regardants avaient déposés au fil des ans, et s'était jeté sur l'agresseur avec une rage incontrôlée. Résultat des courses, quand les sorteurs alertés par les cris de la soeur affolée sont parvenus à le maîtriser, le violeur gisait inconscient sur le sol ensanglanté, machoire fracturée, arcade explosée, fracture ouverte du radius, de la clavicule, plusieurs côtes cassées,...

Ce client avait des circonstances atténuantes, clairement. Mais à l'heure actuelle, le jeune avocat ne se sentait pas tout à fait à l'aise et aurait aimé trouver l'une ou l'autre jurisprudence pour étayer son discours. Il veut obtenir l'acquittement. Cela faisait des heures qu'il séchait sur le sujet, fouillant dans les archives, parcourant de long en large les rayons kilométriques. Alors qu'il était plongé dans un gros volume de droit pénal, un bruit sourd à côté de lui l'a fait sursauter. Ernie venait de déposer sur sa table trois ouvrages qu'il n'avait pas encore repérés lors de ses recherches. A plusieurs endroits, des pages étaient cornées. Dans un large sourire, Ernie lui dit : "Vot' juge y s'ra sensible à ça, pour sûr !" Puis il lui tourna le dos et s'en alla.

Le lendemain, en sortant du tribunal, le pro deo était confiant. Il avait senti qu'il avait marqué des points au moment où il avait sorti son atout. La jurisprudence d'Ernie, appuyée d'une bonne documentation, avait fait mouche.

Alors qu'il patientait aux côtés de son client, attendant le verdict du juge, il eut une pensée pleine d'affection pour Ernie le gentil. Comment diable ce simple technicien de surface avait-il pu savoir ?

Quand ils furent rappelés à l'intérieur, il ne vit pas qu'Ernie s'était glissé dans le fond de la salle. Il ne vit pas non plus son visage se fendre encore plus largement que d'habitude en entendant le verdict du juge.

"Acquitté !"

jeudi 30 mars 2006

C'était un accident...

Un stupide accident.

Elle avait la tête ailleurs, plongée dans des pensées de la plus haute importance : son frigo dont les derniers occupants étaient des yaourts zéro pourcent périmés et un restant de pizza qu'il ne valait mieux plus manger, les poubelles qu'elle avait oublié de sortir la semaine dernière, son tailleur qu'elle devait aller chercher chez le teinturier et sa commande de La Redoute qui l'attend depuis plus d'une semaine au point de livraison...

Il se sentait en pleine forme ce matin et bien décidé à se tenir à sa nouvelle résolution. Il s'était offert un vélo tout neuf le week-end dernier. Une promo du Carrefour. La hausse du prix de l'essence et des chiffres sur sa balance l'avait décidé à entreprendre une réforme de son mode de vie, qui avait commencé par l'achat d'un beau vélo.

Elle rentrait du boulot, connaissait ce chemin par coeur, aurait pu le parcourir les yeux fermés...

Il rentrait du boulot, les écouteurs de son Ipod enfoncés dans les oreilles, avec Fat Slim Boy à fond pour lui donner le rythme...

Crissement de pneux. Freins qui geignent. Fracas de tôle froissée. Le temps s'arrête.

Son coeur s'arrête de battre. Le bruit la tire brutalement de ses pensées quotidiennes. Lorsqu'elle parvient à reprendre son souflle et à réaliser ce qui s'est passé, elle s'arrête pour aller voir les dégâts et proposer son aide. Un cycliste s'arrête à sa hauteur. "Quel stupide accident ! " Une camionnette arrivant un peu vite s'était rendu compte un peu tard que la voiture qui la précédait était en fait stationnée en double file.

Attablés devant un thé à la menthe, sur la terrase du café qui faisait le coin, juste devant l'endroit où ils s'étaient rencontrés un an plus tôt, Emilie et Mathieu se rappelaient ce "stupide accident" en souriant quand Mathieu sortit de sa poche un petit objet métalique. C'était une voiture miniature. Un Vito, comme cette camionnette qui avait provoqué L'Accident. Sur ses flancs, comme un logo commercial, les initiales E&M entremêlées. "Ouvre..." Emilie dû s'y reprendre à deux fois pour parvenir à ouvrir les minuscules portières arrières de la Vito. Ce qu'elle découvrit à l'intérieur lui embua le regard. Elle leva vers lui des yeux humides et ne parvint pas tout de suite à articuler le mot qu'il attendait de tout son être, comme en témoignait la goute de sueur qui perlait sur sa tempe.

"Oui !"

mercredi 29 mars 2006

Regarde d'un peu plus près...

Eh, pssst! Viens voir... Plus près, oui. Regarde. Là. C'est plein de petites bêtes qui grouillent dans tous les sens. Elles ont l'air occupées, hein ? Elles n'arrêtent pas de construire : des endroits pour parquer leurs petits, des réseaux de communication, des gardes-manger,... Oh, t'as vu ? Elles se battent, là. C'est marrant. Et celles-là, qu'est-ce que tu crois qu'elles font ? On dirait qu'elles se reproduisent. T'imagines ? Elles ont carrément des endroits rien que pour ça où elles ne font que ça, jour et nuit. C'est fascinant, je trouve. C'est vraim... Merde! J'ai dérapé, j'ai été foutre mon doigt dans ce truc bleu mouillé, là...

Le 26 décembre 2004 à 00 h 58 GMT (7 h 58 min 50 s heure locale à Jakarta et Bangkok) a eu lieu au large de l'île indonésienne de Sumatra (3,3° N, 96° E) un séisme d'une magnitude de 9,0 sur l'échelle ouverte de Richter, d'après l'Institut géologique américain (USGS).
Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Tremblement_de_terre_du_26_d%C3%A9cembre_2004

mardi 28 mars 2006

Une journée dans la vie de Gabrielle

7hoo. Mon réveil se met en marche. C'est la radio. L'animateur annonce d'une voix guillerette
"...températures agréables pour la saison, entre 15 et 18 degré sur le centre du pays cet après-midi. Un temps clair avec quelques nuages d'altitude en fin de journée. Les plus téméraires en profiteront pour faire leur premier barbecue de l'année. Cette nuit, ciel déga.."
J'appuye sur le bouton "Snooze". Pas maintenant, c'est trop tôt. Mais dans 9 minutes, promis, je me lève.
"...highway, cool wind in my hair. Warm smell of colitas rising up through the air. Up ahead in the distance, I saw a shimering light. My head grew heavy and my sight grew dim, I had to stop for the night."
7h09. J'entame le refrain en choeur avec les Eagles. Le pied. Voilà une journée qui commence bien : la météo annonce du beau temps, je me réveille en chantant ma chanson préférée, voilà qui me donne le punch suffisant pour sortir de mon lit et me glisser sous la douche.

7h17. Elle est trop bonne, je veux pas en sortir.

7h21. Bon allez, faut bien se résoudre.

8h03. Je sors de chez moi. Faut absolument que je me décide à préparer mes fringues la veille, je perds chaque jour un temps con à chercher quoi mettre et à essayer 15.000 trucs différents, surtout que je dois encore me maquiller après. Me voilà avec déjà 10 minutes dans les dents. Pas grave, je m'arrête quand-même à la boulangerie. Pas moyen de commencer la journée sans un de leurs délicieux petits pains en chocolat.

8h22. Ca se voit qu'on est lundi, ils ont tous une tête de lendemain de veille, dans ce tram. Pas grave, je décide de sourire, il paraît que c'est contagieux. Bon, à part ça... qu'est-ce qu'il y a de prévu au programme aujourd'hui ? Briefing à 10h, ça me laisse le temps de préparer un peu, cool. Ce midi, déjeuner avec Magda. Avec un peu de chance on va même pouvoir se le faire en terrasse. Et cet aprem, ben... on verra où on en est avec le projet ISA. En tout cas, c'est clair, ce soir je la fais pas tard. Avec Laurent qui vient à 19h30, je veux être à la maison au plus tard à 18h30 pour tout préparer. Ah merde! Faut encore que je passe au Delhaize chercher des petits toasts. Pas oublier, pas oublier, pas oublier,... Eh mais c'est ici que je descend, moi!

8h47. Bon, ben ça va, j'ai à peine un poil plus que le quart d'heure académique de retard... De toute façon, je voudrais bien voir qu'il y en ai un seul qui me fasse une remarque là-dessus.

12h38. "Allô Magda ? Oui, oui, je suis en route, j'arrive, je suis là dans deux minutes!"

12h42. Houlà, elle a pas l'air heureuse. J'ai même pas quinze minutes de retard...

13h40. "Désolée, Magda-chérie. Faut absolument que j'y retourne, je suis déjà en retard. Mais on s'appelle ? Allez, biz." Ouais. Puis tu me saoûles avec tes histoires de bureau dont je n'ai strictement rien à caler.
"Et tu sais pas quoi ? Christianne, celle de la compta, eh bien elle est allée raconter à tout le monde que je me faisais rembourser mes frais de parking. Alors, tu penses, tout le monde a voulu faire pareil. Là-dessus, Patrick a décidé que les frais de parking ne seraient plus remboursés à personne, histoire de ne pas faire de jaloux! Non, mais tu te rends compte ?..."
Et gnagnagna... Enfin bon. Je l'aime bien, Magda. C'est une bonne copine. Puis elle bosse pas loin, avec qui est-ce que je m'aérerais l'esprit sur le temps de midi si elle n'était pas là ?

17h26. Il est temps que j'y aille si je veux encore passer au Delhaize.

17h52. Mais où ont-ils rangé ces foutus toasts ? Pourquoi c'est pas avec les trucs de l'apéro ? Ah, les voilà, tiens ! Avec les biscottes : comme si j'allais me faire des zakouskis au petit déjeuner...

18h17. Je rêve ?! T'avais pas vu qu'il y avait une balance pour peser tes tomates, pauvre cruche ? Bon, il se magne Monsieur Demesmaecker du rayon Fruits & Légumes ? C'est que j'ai du monde à la maison, moi. Et je dois encore tout préparer, j'y arriverai jamais.

19h32. Ouf ! Je l'ai fait. Je suis fin prête. Table : mise. Bougies : allumées. Dîner : prêt à être enfourné. Apéro : au frais. Zakouskis : prêts à être dégustés. Maquillage et tenue adaptés... Tout est OK. Ah non, tiens... si je mettais un eu de musique de fond. Manu Chao, ça fera pas trop "romantique".

"...Perdido en el corazon della grande Babylon..."

19h39. M'enfin mais qu'est-ce qu'il fout ? On avait dit 19h30. Il est en retard. Je ne supporte pas les gens qui sont en retard.

19h40. "Salut, c'est Gabrielle. J'appelais pour savoir où tu en étais, au cas où tu aurais eu du mal à trouver... Ah ?... Ben si quand-même. C'est que j'avais préparé à manger pour deux... Et ils te l'ont dit seulement maintenant ?... Non, non, c'est pas grave, je comprends... Ben, bonne réunion alors. Et bon courage. Ciao." Enfoiré !

Gab, t'es vraiment une pauvre conne. Un véritable radar à salopards. Regarde-moi ce gâchis : maquillée comme une vieille pute, préparée comme une femme soumise et abandonnée comme une femme trompée, alors que t'es même pas encore avec lui ! La prochaine fois qu'il appelle, t'as intérêt à l'envoyer chier.




lundi 27 mars 2006

Vladimir Petit n'a pas choisi

Vladimir n'est pas russe, et il n'est pas grand non plus...

Rififi à l'Etat Civil

Dinant - 1 avril 2003. Un fonctionnaire de l'Etat civil modifie les actes de naissance dont il se charge. Le petit Jonathan Assin devient Marc, Julien Dalors devient Homer,... Inculpé d'abus de pouvoir, le fonctionnaire indélicat modifiait les certificats après la déclaration des parents. Ceux-ci s'appercevaient parfois plusieurs mois plus tard que le prénom officiel de leur enfant avait été changé. (Suite en p. 12)


La maman de Vladimir était une fervente admiratrice de Vladimir Krpan, célèbre pianiste croate s'il en est. Jeune professeur de musique au Collège Notre-Dame de Bellevue à Dinant, Marie-Joëlle Simonet avait tout juste 22 ans lorsqu'elle tomba éperduement amoureuse de Francis Petit, pion dans le même Collège Notre-Dame de Bellevue, de 5 ans son aîné. Elle en avait 23 en novembre 1962 lorsqu'elle donna naissance au fruit de leurs amours, dans l'appartement trois pièces qu'ils occupaient depuis leur mariage, il y avait six mois de cela.

Elle accoucha dans un environnement modeste mais chaleureux, d'un charmant bambin qu'elle prénomma Vladimir sans provoquer de grande contestation dans le chef de son Francis, qui n'était pas homme à se soucier du choix d'un prénom.

Francis Petit était un brave et honnête homme. Droit, sérieux et discipliné. Il aimait sa femme et son fils de tout son coeur, mais ça n'était ni dans son caractère, ni dans son éducation que de se répandre en louanges et compliments divers. Son amour, il le leur montrait en travaillant dur, tentant de gravir un à un les échelons de la hiérarchie scolaire. De pion, il passa à surveillant en chef, puis préfet de discipline.

Vladimir hérita les yeux gris et la petite taille de sa mère, les cheveux rares et le sens de l'humour de son père.

Autant dire que ses années d'enfance, et pire encore d'adolescence, ne furent pas une partie de plaisir. Si ses parents l'aimaient, ils ne se rendirent jamais compte de l'enfer que vivait au quotidien le petit Vladimir Petit. Moqué par ses camarades de classe sur l'étonnante adéquation de son patronyme, interrogé sans cesse sur ses inexistantes origines russes, Vladou - comme l'appelait tendrement sa maman - envisageait chaque lundi comme une nouvelle punition.

Il passa ces 12 années à rentrer la tête dans les épaules et à concevoir pour de ses parents une amertume non dénuée de colère. Bien sûr, il les aimait, mais il pouvait difficilement les pardonner de l'avoir affublé d'un tel nom. Il savait bien que Vladimir en soi n'est pas un vilain prénom, mais on l'avait tellement charié sur ses origines ("éh, le ruskof!", "Chante-nous l'Internationale!",...) qu'il ne pouvait l'apprécier. Et associé au nom de Petit, quand on mesure un mètre soixante-trois, ça devient carrément une tare.

Vladimir Petit décida de devenir fonctionnaire. Après des études en droit administratif, il passa tous les concours nécessaire et fut nommé à l'Etat civil de sa commune de Dinant.

dimanche 26 mars 2006

C'est décidé, j'écris : poste 1...

Depuis des mois, je caresse l'idée de devenir écrivain...

En y réfléchissant bien, cela fait même des années. En secondaire, j'avais un "carnet de textes" que je remplissais de poèmes dégoulinants d'amour, ou carrément de pensées ado-suicidaires. J'ai eu plusieurs journaux intimes, selon les périodes de ma vie.

J'ai choisi le journalisme à l'université, car j'aimais écrire et rencontrer des gens. Puis je l'ai vite quitté, par manque d'intérêt pour l'actualité : j'ai privilégié mon sens du contact humain dans une profession commerciale. Puis, par manque d'écriture, je me suis réorientée vers la communication. Account/copywriter dans une agence de marketing direct. Là, je me suis rendu compte que ma facilité d'écriture était un véritable atout. Je rédige en moins de deux mailings, lettres, newsletters, quel que soit le client ou le sujet. On me demande d'écrire pour Club Med, Nestlé, L'oréal, Deutsche Bank, Renault, GB, ...

A côté de ça, j'éprouve une certaine admiration, voire une admiration certaine, pour J.K. Rowling : partie de rien, sa plume et son café, et hop! Elle nous pond un chef d'oeuvre de littérature... Et ce n'est pas par omission que je n'y ajoute pas l'adjectif "enfantine", car tout le monde sait que ses livres sont appréciés bien au-delà de la limite d'âge initialement prévue.

Par ailleurs, comme une autre de mes ambitions est de devenir millionaire, je me disais (sans doute comme nombre d'aspirants écrivains fans de JK Rowling) : pourquoi pas moi ? Je joue assidument à Euromillion, mais j'ai l'art d'avoir systématiquement les chiffres d'à côté (si le 33 est tiré, c'est le 32 qui se trouve sur mon ticket... Il m'est arrivé de faire une série entière de cette façon : systématiquement à 1 chiffre du bon chiffre!)

Alors j'ai recommencé à penser à écrire... Je me suis fait offrir des livres sur l'art d'écrire. "Les italiques jubilatoires" et "L'écriture : du premier jet au chef-d'oeuvre" de Natalie Goldberg, ainsi que "Je suis un écrivain" de Gilbert Gallerne.

Le premier m'a carrément fait l'effet annoncé : en le lisant, j'avais la plume qui me démangeait. Je me suis aussitôt attelée à un nouveau cahier, acheté un stylo pour que ça glisse mieux et ma main s'est mise à courir sur le papier, suivant les préceptes de Natalie : en laissant venir ce qui voulait venir. J'ai noirci des pages, puis la lassitude est venue. Cela ressmblait plus à une sorte de journal intime qu'à un début d'ébauche de quoi que ce soit de construit Je ne parvenais plus à m'asseoir à mon bureau, ou où que ce soit d'autre pour le plaisir d'écrire. J'ai un moment pensé à lancer avec mes copines une sorte d'atelier d'écriture, mais je me suis découragée.

On en vient enfin au coeur du sujet : j'ai enfin décidé d'écrire...

Il fallait que j'investisse dans un ordinateur. Un portable, pour que je puisse m'installer n'importe où. Le cahier me bloque, l'ordinateur m'attire.

Je me suis dit : "Marie, c'est l'occasion où jamais de t'y remettre : crée ton blog, ça te forcera à écrire régulièrement..." L'idée c'est de créer une sorte de bestiaire de personnages qui me permettront plus tard de les faire évoluer dans une vraie histoire, mais aussi de parler de ma propre expérience de l'écriture et de partager la vôtre.

Alors voilà, je me lance. C'est mon premier poste. Je n'ai encore rien découvert des possibilités de blogger, je vais plancher un peu. En attendant, n'hésitez pas à donner vos commentaires : vos expériences, vos propres textes si vous le voulez, vos avis sur les miens,... Bienvenue !

Marie