Elle se souvient de son premier été ici, elle avait alors 12 ans... Sa famille était originaire d'Aberdeen, dans les highlands. Son père avait obtenu une très belle promotion qui l'avait muté à Falmouth, à peu près exactement à l'autre bout du pays ! Cela restait la côte, mais le climat et les paysages étaient tellement différents... Lorsqu'elle est arrivée dans le quartier, sa façon particulière de rouler les "r" fit beaucoup rire ses nouveaux camarade de classe. Mais au lieu de s'en offusquer comme l'auraient fait les autres petites filles de son âge, elle rit de bon coeur avec eux. Sa nature sociable lui valut de se faire très rapidement de nombreux amis.
Très vite, elle fit la connaissance de ceux qui fondèrent avec elle le Club des Intrépides. Eva et Björm étaient ses voisins de gauche, arrivés le même été et pour les mêmes raisons : Monsieur Bergström avait également été engagé comme ingénieur à la nouvelle centrale nucléaire. Juste en face habitaient Sam et sa famille, les Mugley, installés ici depuis des générations. Le père de Sam était garagiste, et sa mère travaillait à la bibliothèque communale. Et deux maisons plus loin sur le trottoir d'en face vers la droite, c'était Bill Chapman, qui vivait seul avec sa mère. Elle était veuve d'un agent immobilier, décédé deux ans plus tôt d'une trombose, et il semblait que son défunt mari ne les eût pas laissés dans le besoin.
Le Club des Intrépides aurait tout aussi bien pu s'appeler le Club des Inséparables. Dès que l'école était finie (et les quelques devoirs expédiés), ils se retrouvaient à Snake Point. C'est ainsi qu'ils avaient baptisé le terrain vague qui formait la pointe d'un Y entre les deux rues principales du quartier. C'était aussi un peu un hommage au jour officiel de leur déclaration de serment du Club des Intrépides.
C'était Sam qui avait lancé l'idée...
_ Si on faisait un pacte ? Un pacte pour rester amis pour la vie...
_ Il dirait quoi, ton pacte ? lança Bill.
_ Et bien d'abord, il définirait les conditions d'accès au Club, il établirait le statut des membres, puis on aurait chacun un nom de code, que nous seuls connaîtrions... Qu'est-ce que vous en pensez ?
_ Moi, je trouve que c'est une bonne idée, approuva Björn. Et il faudrait qu'on passe tous une épreuve pour faire partie du Club.
C'est Eva qui trouva l'idée : on devrait chacun ramener un trophée qui ornerait la cabane que nous venions de construire, sur base de quoi, nous trouverions un nom pour notre club. On se donna rendez-vous le lendemain après l'école.
C'est Bill qui eut l'honneur de commencer. Il tenait entre ses mains une petite boîte en porcelaine bleue en forme de coeur sur laquelle trônait une minuscule souris blanche. Lorsqu'il souleva le couvercle, on pu y trouver quatre grosses molaires. Il s'expliqua : "Je n'ai jamais autant souffert de ma vie que ce jour où on m'a enlevé mes dents de sagesse... C'est mon offrande au club pour vous dire que pour vous, je serais prêt à tout endurer."
Il avait placé la barre assez haut. Amy se sentait un peu gênée avec sa tresse de cheveux ornée d'un ruban rose. "Un jour, ma mère était furieuse contre moi parce que je suis rentrée toute crasseuse de l'école. En fait, c'était pas de ma faute : j'avais mis, c'est vrai, ma robe du dimanche pour aller à l'école alors que Maman me l'avait interdit. Mais j'étais amoureuse de Henry, le petit nouveau de la classe, et je voulais l''impressionner. A la récré, Roby la teigne, s'était moqué de moi et m'avait poussée dans une flaque de boue. Quand Maman m'a vue dans cet état-là, elle m'a attrapée par les cheveux, m'a trainé jusqu'à la salle de bain, m'a plongée dans la baignoire et m'a aspergée d'eau froide. Dans sa rage, elle a empoigné sa paire de ciseaux et m'a coupé cette tresse en me disant que ça m'apprendrait à vouloir jouer les ingénues."
Björn et Eva avaient ramené une sorte de statue dorée où l'on voyait un couple de patineurs. "C'est notre coupe de champions de Suède de patinage artistique, catégorie juniors. Nous l'avons remportée l'année passée, juste avant de quitter notre pays pour venir ici. Depuis, nous n'avons pas vraiment pu nous entraîner et ça nous manque..."
Sam était tout rouge... Une goute de sueur perlait sur son front. Il semblait embarrassé. Il cachait ses mains derrière son dos depuis qu'il était arrivé, il voulait être le dernier à nous montrer son trophée. Il parlait d'un ton hésitant, voire balbutiant. Il avait vraiment une attitude bizarre. "Je... Je n'ai jamais été opéré... ni battu... ni sportif... Alors j'ai vraiment dû chercher un tr..." Soudain ses yeux se révulsèrent et il tomba à la renverse, laissant voir ce qu'il tenait dans sa main droite. Enfin, sa main droite ou ce qu'il en restait. Son bras était mauve, presque bleu et tellement gonflé que l'on devinait à peine que ce fut un bras de gosse et non pas un ballon de rugby. Il en sortait une sorte de corde noire d'un mètre cinquante. On n'a pas reconnu tout de suite la vipère qui gisait morte dans son poing. Ce n'est qu'en s'approchant pour voir ce qu'avait son bras que l'on a vu les dents encore plantée dans son poignet. Ni une ni deux, Björn et Bill entreprirent de le porter jusque chez lui pendant qu'Eva et moi courions prévenir quelqu'un.
L'ambulance arriva rapidement et il fût emmené à l'hôpital. Il y resta une bonne semaine.
Visiblement, son cas était grave, bien que ses jours ne fussent pas en danger. Lors de notre première visite, le docteur nous a expliqué qu'on ne mourrait pas d'une morsure de vipère. Mais le cas de Sam était néanmoins impressionnant car il présentait une réaction aigüe : l'oedème s'était étendu jusqu'au tronc. Les deux premiers jours, il oscillait entre perte de conscience et des douleurs abdominales atroces accompagnées de diarrhées incontrôlables. Ce n'était pas beau à voir.
Bill s'était arrangé pour obtenir un bocal de formol à l'école pour y mettre la vipère de Sam. Quand le miraculé revint à la cabane, il le trouva qui siégeait en bonne place au milieu des autres trophées. "Bienvenue au Club des Intrépides" lança Bill. "Enfin, si le nom te convient..." Sam acquiesca vivement "Trop cool!..."
"On t'attendait pour sceller le pacte", annonça Björn. Et il déroula une feuille de papier qu'il avait soigneusement trempée dans du thé avant de la laisser sécher pour en brûler les bords. C'est Eva, de sa plus belle écriture, qui avait calligraphié les quatre premiers articles du pacte. Il restait un emplacement prévu pour un cinquième. Eva entamma la lecture :
Article 1. Pour être un Intrépide, il faut montrer courage, loyauté et une amitié sincère et infaillible envers les autres membres du Club jusqu'à ce que la mort nous sépare."Tu veux ajouter un article ?" demanda Eva. "Ben... il manque un cri de ralliement et un système de mot-de-passe. Que pensez-vous de :"
Article 2. Aucune personne extérieure à ce Club ne peut être amenée à la cabane, à moins que l'ensemble des membres du Club ne soient d'accord pour en faire un nouveau membre.
Article 3. Les Trophées devront être protégés à tout prix. Chaque soir, chacun reprendra l'un des trophées chez lui pour veiller sur sa sécurité. Des tournantes seront organisées pour que chacun garde chaque trophée à tour de rôle.
Article 4. Le but de notre Club sera de veiller les uns sur les autres pendant toute notre vie. Si l'un de nous est dans le besoin ou a des ennuis, c'est le devoir des autres de l'aider à s'en sortir.
Article 5. Notre cri de ralliement sera "Intrépides mais pas sans cervelle, Irréductibles mais pas sans coeur" et nos mots de passe seront "Qu'est-ce qui se passe ? Le serpent cesse de siffler sournoisement."Tout le monde opina du chef. Il ne nous restait plus qu'à tous signer.
(à suivre...)
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