dimanche 29 avril 2007

L'instant

Du fond de son caniveau, Albert regardait le soleil poindre au travers du brouillard. Il faisait froid, et la rue était encore déserte. Dans quelques instants, les plus matinaux fonceraient tête baissée pour attraper qui un bus, qui un taxi. Cet instant où la nuit cède doucement la place au jour avait toujours été son moment préféré de la journée. L'instant où deux mondes se croisaient sans jamais se rencontrer. Lui appartenait autrefois au monde du soleil. Puis il avait été remercié, son conseil d'administration ayant décidé qu'il était temps d'injecter du sang frais dans l'entreprise qu'il avait lui-même édifiée, à la sueur de son front, sacrifiant son mariage et sa famille pour en faire un empire rapportant de confortables dividendes à divers fonds de pension.
Dans son ancienne vie, il appréciait déjà cet instant magique, au travers des vitres de sa tour de verre surplombant la ligne d'horizon. Il régnait alors un silence de cloître dans les bureaux, et ces précieuses minutes constituaient une introduction quasi religieuse à la journée qui débutait.
A l'époque, on ne parlait pas de golden parachutes. La fortune qu'il avait construite s'est vite effritée : il avait fait de nombreux investissements, payé des études universitaires et une maison à chaune de ses deux filles, puis sa femme l'a quittée pour l'un des administrateurs emportant la moitié des biens. Ne pouvant se résoudre à baisser le niveau de vie qui était le sien avant sa chute, il se retrouva en quelques années sans le sous. Jusqu'à ce jour fatidique de juillet où les huissiers étaient venus poser les scellés sur sa propriété. Il avait alors déjà revendu un bonne partie de ses biens pour rembourser ses créditeurs. La dernière chose dont il se sépara, ce fut cette toile de Monet qu'il conservait à l'abri de son coffre-fort. Il avait pu l'en extraire avant que les huissiers ne mettent la main dessus. Cela lui avait permi de vivre quelques mois à l'hôtel.
Il avait bien essayé de retrouver du travail, mais il était « trop qualifié ». C'était une façon polie de dire qu'il avait passé la date de péremption.
Il se souvenait de sa première nuit à la rue comme si c'était hier. Dans son beau costume Hermès, il s'était retrouvé à la porte de l'hôtel, sa valise à la main, se demandant quoi faire ensuite. Il ne pouvait se résoudre à demander l'aide d'un centre d'accueil pour sans abri. Habillé de la sorte, on ne l'aurait probablement pas accepté, d'ailleurs. Il se rendit à la gare, et décida de faire semblant d'attendre le train. Bien qu'il ait décidé de ne pas dormir, il s'assoupit, grelottant dans la nuit froide de novembre. Vers trois heures du matin, un vigile le secoua.
_ Monsieur ? Monsieur ? Vous ne pouvez pas rester là...
Sa valise avait disparu, et avec elle, les quelques pulls supplémentaires ainsi que le peu d'argent qu'il lui restait pour manger les prochains jours.
Il a fini par connaître tous les endroits où dormir, apprendre à se battre pour obtenir un coin à l'abri, accepter de ranger son orgueil de côté pour mendier sa pitance, encaisser les regards pleins de mépris des passants, se contenter du peu d'hygiène qu'offrent les toilettes publiques pour essayer de garder un visage humain...
Et cette nuit, alors qu'il squattait de vieux cartons entassés entre deux containers, une bande de voyous en mal de sensations s'est défoulée sur sa pauvre carcasse à coups de barres à mines, de chaînes des voitures et de coups de poings américains. Les injures pleuvaient autant que les coups, et les minutes semblaient durer des heures.
Il gisait dans une marre de sang, l'un de ses yeux avait quitté son orbite et pendait lamentablement sur sa joue. Les os de sa machoire étaient en miettes, ainsi que ses côtes, ses clavicules, les os de ses bras et trois de ses vertèbres. Il n'était plus que douleur.
Alors que la nuit s'en allait presque comme en s'excusant, et que le jour n'osait pas encore s'avacer, il profitait une dernière fois de cet instant magique qu'il avait fait sien.
Un cri perçant déchira l'athmosphère. Une executive women venait de tomber sur le spectacle macabre. Coup de fil, attroupement, sirènes... Les mots qui lui sont adressés se parviennent pas jusqu'à lui. Le froid a envahi son corps, remplaçant avantageusement la douleur. Le premier rayon du soleil perce les nuages, Albert rend son dernier souffle. Si son visage n'était défiguré, on y verrait un sourire triste planer...

jeudi 26 avril 2007

Un ennemi de poids (8)

Quand Rousseau débarqua au poste, la grosse horloge qui surplombait les portes battantes menant aux bureaux marquait 7h32. Benedetti l'y attendait déjà, les cernes creusés et le regard angoissé. Ses coups de fils matinaux n'avaient rien donné. Outre la famille et les amis, il avait également appelé les compagnies de taxi, qui n'avaient embarqué personne correspondant au signalement de Vera cette nuit-là. Le restaurant était fermé, bien entendu, mais il était parvenu à trouver le téléphone du patron. Ce dernier se souvenait bien du départ de la jeune femme à la robe rouge, c'était aux alentours de 23 heures, et elle était seule. A sa connaissance, elle n'avait pas passé de coup de fil depuis le téléphone du restaurant.
_ Je ne peux pas m'empêcher de songer à ce taré qui était dans les rues, hier soir...
_ Si ta théorie sur l'obésophobe est juste, elle ne devrait rien risquer, adorable comme elle est...
_ Tu ne l'as plus vue depuis le mariage, elle a pris quelques kilos. Bien sûr elle est toujours sublime, mais je ne sais pas à quel point les critères de ce malade sont stricts.
_ Bon, reprenons depuis le début. Tu m'as dit qu'elle était où ?
_ Au Palais Vénitien, sur l'Avenue des Coteaux. Si elle avait prévu de rentrer à pied, deux choix s'offraient à elle : prendre le chemin le plus court en suivant le Boulevard Rimbeau, puis l'Avenue des Cerisiers, ou alors longer la plage en prenant la promenade pour piquer ensuite sur l'Avenue du Parc.
_ Mmmh... Cette deuxième option semble plus bucolique, si l'on veut terminer la soirée agréablement en profitant de la brise, tu ne crois pas ?
_ C'est bien ce qui m'inquiète. Ce trajet la rapproche du quartier où l'on a retrouvé notre étripé, hier soir.
Il appuya ses dires en pointant une carte de son index rongé jusqu'au sang. Il avait tracé les deux itinéraires au fluo, celui de la plage en orange, l'autre en vert. Et au gros marqueur rouge, il avait fait une croix à l'endroit où l'étripé avait été déposé. Cette croix était effectivement dangereusement proche du secteur de l'itinéraire orange...
_ Bon sang, j'espère que tu te trompes. Mais imaginons un instant que tu aies vu juste, cela nous donnerait au moins une direction dans laquelle chercher. Qu'est-ce qui se trouve dans le prolongement de l'axe ?
_ Le centre commercial, les quartiers à discrimination positive et, plus loin, les beaux quartiers des collines.
_ Le genre de quartiers où l'on conduit des décapotables rouges ?
_ Ca dépend de la décapotable, mais y a des chances, oui... Je demande à Williams de me sortir la liste de toutes les décapotables rouges.
_ Attends au moins qu'il soit 8 heures, je te rappelle que lui non plus n'a pas beaucoup dormi cette nuit... Sur ce, je vais nous faire du café.

*

A plusieurs reprises, il avait sorti son matériel d'intervention, dessiné sur son corps les découpes envisagées, mais jamais il ne parvenait à être satisfait du résultat. Il la lavait alors entièrement afin d'effacer les vilaines traces qui zébraient sa peau et rangeait son matériel pour le ressortir quelques dizaines de minutes plus tard et recommencer.
Sa tension commençait à monter. Il maugréait en-dedans contre cette femme qui venait bouleverser ses plans et remettre en cause ses convictions.
Une fois il l'avait même giflée. La dose de sédatifs qu'il lui avait injectée l'empêcha de réagir ou même de sentir ce qui lui arrivait, mais de crainte qu'un vilain hématome ne vienne gâcher ce doux visage, il s'empressa de poser un cool-pack sur la joue ainsi attendrie.
(à suivre...)

mercredi 25 avril 2007

Un ennemi de poids (7)

Vera se réveilla avec un mal de crâne carabiné. Des bribes de souvenirs remontaient à la surface de sa conscience. Elle se souvenait d'être montée dans cette belle décapotable aux côtés d'un homme séduisant qui se proposait de la ramener chez elle. En dépit de toute l'éducation qu'elle avait reçue et de l'amour qu'elle éprouvait pour Guillaume, elle avait trouvé excitant de se faire draguer de la sorte et avait accepté de monter dans la voiture d'un inconnu comme pour faire un pied de nez au gâchis de cette soirée d'anniversaire de mariage ratée.
L'homme en question... Comment avait-il dit qu'il s'appelait ? David ? Dany ?... Daniel ! C'est ça... Ou quelque chose comme ça... Daniel avait une conversation très agréable. Il n'avait cessé de la flatter et fit montre d'une grande indignation lorsqu'elle lui avait brossé le tableau désastreux de la soirée qu'elle venait de passer. Il avait les manières d'un gentleman, c'est pourquoi une fois de plus, quand il lui proposa de réparer cela avec une bouteille de champagne au bord de la plage, elle envoya ballader les conseils de sa maman et accepta, non sans une pensée coupable pour son mari occupé à travailler, peut-être à risquer sa vie... Pour se rassurer, elle tenta de se convaincre que cela ne l'engageait à rien, qu'elle agissait juste en femme libre et maîtresse de son destin.
Alors qu'elle tentait de reconstituer le puzzle des événements qui l'avait amenée ici, elle se posa pour la première fois la question de savoir où était cet ici exactement... Une mélodie qu'elle semblait reconnaître sans pouvoir mettre un nom dessus emplissait l'atmosphère. Peut-être était-ce son imagination ?Elle essaya d'ouvrir les yeux, mais elle n'y parvint pas. Alors qu'elle tentait de prendre conscience de son corps, elle ne comprit pas tout de suite la position qu'il avait prise. Elle était allongée légèrement sur le côté, un genou quelque peu remonté et un bras replié par dessus sa tête inclinée. L'image que ces impressions formaient dans sa tête donnait un résultat absurde et grotesque. Le brouillard s'épaissisait à nouveau dans sa tête. Le moindre mouvement semblait constituer un effort hors de sa portée. Elle replongea dans un sommeil profond comme un candidat à la noyade abandonne son combat contre les flots.

*

Il venait d'ajouter quelques gouttes de sédatif dans son baxter, car elle avait bien failli se réveiller. Cela faisait quelques heures qu'il n'avait pu se résoudre à la quitter des yeux. Il ne comprenait pas ce qui le fascinait chez elle. Elle avait pourtant ces bourrelets qui lui faisaient horreur, ces petits doigts boudinés, ces chevilles trop fortes, ces bras tout potelés et le début d'un odieu double-menton. Cependant, il y avait quelque chose de différent chez elle... En temps normal, il se serait déjà précipité sur son scalpel, voyant tel un styliste de génie quelle amélioration en ferait un pièce sublime, parfaite.
Mais depuis l'instant où il l'avait aperçue dans la lumière des réverbères, elle l'intriguait. Il répugnait encore à utiliser le terme beauté à son égard, mais elle dégageait quelque chose qu'il ne parvenait pas à identifier. Il avait le sentiment que son intervention pourrait être plus néfaste qu'utile, cette fois... Pris d'un élan de romantisme incontrôlable, il l'avait précautionneusement dénudée afin de la faire poser telle Rose dans Titanic. Ce faisant il n'avait pu s'empêcher de respirer l'odeur de sa peau. Il avait poussé le vice jusqu'à parcourir du bout des doigts son corps ainsi offert, partant à la découverte de ses courbes, goûtant à la chaleur de l'intérieur de ses cuisses, à la douceur du creux de ses seins, à la dureté de ses petits mamelons rosés... Etait-ce pour faire durer le plaisir ou par crainte de la souiller, il n'avait pas voulu la pénétrer malgré l'érection qui le tiraillait.
Il s'assit alors en face d'elle, faisant tourner Céline Dion en boucle, pour la regarder encore et encore et tenter de comprendre ce qui la rendait différente...

*

Quand Guillaume rentrait tard, comme ça, il veillait toujours à faire le moins de bruit possible pour éviter de réveiller Vera. Il était près de cinq heures du matin, elle devrait se réveiller dans peu de temps pour aller ouvrir la plage et ne serait pas capable de se rendormir s'il la réveillait maintenant. Il avait donc pris l'habitude de se déshabiller dans le couloir sans allumer la moindre lumière. Il se glissa nu dans les draps frais, se réjouissant d'avance du contact agréable de leurs deux corps. Lorsque sa main ne trouva que le vide là où devait se trouver Vera, il alluma aussitôt sa lampe de chevet pour que ses yeux lui confirment ce qu'il savait déjà : Vera n'était pas là !
Il fut pris d'un instant de panique en pensant qu'elle n'avait pas répondu à son coup de fil, plus tôt dans la soirée... Sans prendre la peine d'enfiler un peignoir, il descendit dans le salon pour voir si elle ne s'était pas endormie devant la télévision. Personne... Il consulta le répondeur : pas de message. Son portable : pas de message non plus... Cela ne lui ressemblait pas. Et lui, comme un imbécile, qui l'avait laissée rentrer seule en pleine nuit. Quel con !
Il appela aussitôt l'hôpital, pressentant que cela ne servirait à rien, et en effet... Personne correspondant à l'identité ni même à la description de Vera n'avait été admis.
Il appela Rousseau... Une voix pâteuse lui répondit à l'autre bout de la ligne.
_ T'es pas bien d'appeler à cette heure-ci ? Pourquoi tu vas pas dormir avec ta femme, je croyais que t'étais pressé de la retrouver...
_ Parce qu'elle a disparu...
_ Comment ça ?
_ Elle n'est pas rentrée à la maison, n'a pas laissé de message, n'a pas été admise à l'hôpital et...
_ Holà holà holà ! Tu veux dire que t'as déjà appelé l'hôpital et tout ? Tu crois pas que t'exagères un peu ? T'es sûr qu'elle est pas juste allée dormir chez sa mère, sa soeur ou une copine parce qu'elle te râle dessus pour la soirée gâchée ?
_ Si c'était le cas, je suis sûre qu'elle m'aurait laissé un message incendiaire pour me l'expliquer. C'est pas son genre de partir sans rien dire. S'il lui arrive quoi que ce soit, je me flingue ! C'est moi, le connard qui l'ai laissée rentrer toute seule en pleine nuit.
_ Panique pas, on va la retrouver, suis sûr qu'elle est pas bien loin et qu'elle va très bien. Ecoute, je te propose d'attendre deux ou trois heures, que les gens normaux soient réveillés, et ensuite, tu appelles son carnet d'adresses. Si personne ne l'a vue ni entendue, on lance les recherches, ok ?
_ Ok, t'as sans doute raison, désolé de t'avoir réveillé. Bonne nuit...

Incapable de se rendormir ou de penser à autre chose, il fit d'abord les cent pas dans son salon, déambulant nu comme un vers puis, au bout de cinq interminables minutes, se jeta sur le petit carnet rouge qui était supposé contenir les coordonnées de leurs proches. Il se rendit vite compte qu'il n'était pas vraiment à jour. Il se souvint alors qu'ils avaient fait une liste bien plus complète pour leurs invitations de mariage. Il fonça dans son bureau et alluma l'ordinateur. Après une première sélection de noms, il opéra un tri basé sur la distance et passa son premier coup de fil à 5h37.

*


(à suivre...)

vendredi 13 avril 2007

Un ennemi de poids (6)

Benedetti venait de terminer d'interroger les trois ambulanciers. Ils ne lui apprirent pas grand chose, si ce n'est que, entre deux syncopes, le type n'arrêtait pas de répéter inlassablement qu'il promettait de maigrir. Lorsqu'ils étaient arrivés sur place, il était assis par terre, adossé contre un banc public, les jambes repliées en lotus. Apparemment, c'était également ainsi que l'avait retrouvé le flic qui avait passé l'appel. Ce dernier avait eu la sage idée de l'empêcher de bouger. Ses intestins répandus de part et d'autre de son ventre proéminent fumaient encore légèrement, ce qui signifiait que tout s'était déroulé très vite.
Un des trois infirmiers avait dû passer tout le trajet avec sa main dans l'abdomen de la victime afin de contenir une hémorragie. En effet, la lame avait perforé l'oesophage juste un peu au dessus de l'estomac et sectionné plusieurs veines alentour. Ca avait l'air de faire marrer les deux autres compères qui se foutaient de la gueule du troisième, visiblement un « bleu » en période de stage. Celui-ci n'avait pas fière allure : il était encore pâle comme un linge.

De retour dans la salle d'attente où il avait rendez-vous avec Rousseau et Williams, Benedetti repensait à ce que lui avait dit l'infirmier numéro deux à propos de la position de la victime. Etait-ce un indice sffisant pour lui permettre d'affirmer qu'il s'agissait bien de son homme ? Certes, il avait énoncé cette théorie sur les gros, ce matin. Mais les autres victimes étaient mortes, alors pourquoi laisser celle-ci en vie ? Un témoin ? Peut-être comptait-il sur une intervention moins rapide des services de sécurité qui aurait permis à la victime de succomber faute de soin ?

Il en était à ce stade de ses réflexions lorsque Rousseau fit irruption dans la salle d'attente.
_ Bon allez, on va se prendre un café : la matinée va être longue... Il entre à peine en réa, on va pas pouvoir lui parler tout de suite. Vous allez me raconter ce que vous avez trouvé.
_ OK, je vous rejoins. Je vais juste appeler ma femme pour qu'elle ne s'inquiète pas. Je sais qu'elle n'arrive pas à s'endormir quand je suis de sortie la nuit.

En face l'hôpital, il y avait un café ouvert vingt quatre heures sur vingt quatre. Le « White Blues ». Le patron aimait les jeux de mots débiles et les vieux chanteurs de blues comme B.B. King, Muddy Waters ou John Lee Hooker. Sa clientèle variait en fonction des heures : personnel médical aux heures de fin de service, visiteurs dans la journée... Mais à quatre heures du matin, ils étaient à peu près seuls. Williams et Rousseau entrèrent les premiers, pendant que Benedetti appelait sa femme dehors depuis son portable. Ils n'étaient pas assis depuis une minute que ce dernier les rejoignit.
_ Elle ne répond pas. Je suppose qu'elle s'y est faite, finalement. Ou alors que je présume de sa dépendance... dit-il en haussant les épaules, un sourire forcé au coin des lèvres.

Williams n'avait pas récolté grand chose à l'endroit où l'on avait retrouvé la victime. Les gars de la scientifique étaient occupés à analyser ses vêtements en quête de fibres ou substances spécifiques qui pourraient les aider à identifier d'où elle vient, ainsi que le contenu de la poubelle qui se trouvait à proximité du banc. Aucun témoin direct, bien entendu. Mais un vagabond affirmait avoir vu une décapotable rouge plus ou moins à cette heure-là, plus ou moins dans ce quartier, qui remontait plus ou moins vers le nord... Autant dire qu'il avait plus ou moins vu tout ce qu'on voulait, tant qu'on l'écoutait et qu'on lui servait du café, qu'il n'hésitait d'ailleurs pas à allonger avec un peu du contenu de la petite fiole qu'il gardait amoureusement dans le revers de sa veste pouilleuse.

_ Qu'est-ce que t'en penses, Benedetti ? l'interpella Williams.
_ Hein ? ...Quoi ? Pardon, tu peux répéter ?
_ Je disais : à l'heure actuelle, aucune preuve formelle ne relie ce crime à nos autres victimes, mais mon flair me dit que c'est la même odeur nauséabonde qui entoure ces affaires. Je me demandais juste si tu avais la même impression... Tu n'as pas l'air dans ton assiette, mon vieux. Tu as peur que ta femme soit partie rejoindre son amant, désespérée de ne pas te voir rentrer ? Bah, t'inquiète... Tu pourras te rattraper : j'ai vu l'une ou l'autre infirmière plutôt mignonne à qui ton charme n'avait pas échappé.
_ Déconne pas avec ça. On fêtait notre premier anniversaire de mariage ce soir. Je suis pas inquiet, j'étais juste distrait... la fatigue sans doute.
_ Alors pourquoi t'arrête pas de reluquer l'écran de ton portable. T'attends pas qu'elle te rappelle, peut-être ?...
_ Fous-lui la paix, Williams. Benedetti, fais-nous un topo de ton entrevue avec l'équipe de secours.

Il s'exécuta. Il avoua qu'il avait eu les mêmes interrogations que Williams au sujet du lien possible avec les affaires en cours. Ils en sauraient sans doute plus après avoir pu interroger l' « étripé » comme ils l'avaient vilainement surnommé.
En repassant par l'hôpital après avoir ingurgité quatre cafés serrés et la moitié du juke boxe du « White Blues », l'infirmière en chef leur fit comprendre qu'ils ne pourraient sans doute pas interroger la victime avant cet après-midi.
_ Bon, OK. Relâche, les gars. Rentrez chez vous, dormez un peu, douchez-vous et revenez ici pour midi.

(à suivre...)