dimanche 31 décembre 2006

La dernière page (2)

Amy sursauta au bruit sourd des poings qui cognaient sur sa porte. Ses souvenirs l'avaient plongée dans un profond sommeil et elle s'était assoupie devant sa fenêtre. La pluie avait cessé, mais les nuages n'avaient pas quitté le ciel. Ils semblaient former un couvercle opaque à quelques mètres du sol à peine et donnaient à la tombée du jour un air de nuit anthracite.

Au début, elle ne comprit pas tout de suite ce qui l'avait tirée si violemment de son sommeil. En jetant un oeil sur l'horloge accrochée au dessus de la porte de la cuisine, elle se rendit compte avec stupeur qu'elle avait passé l'après-midi assise là. Son arthrite ne le lui pardonnerait pas dans les jours à venir, pour sûr ! A commencer par cette nuit.

Un bruit de clé dans la serrure de la porte d'entrée et quelques bougonnements incompréhensibles l'avertirent de l'entrée imminente de Judy, vraisemblablement de mauvaise humeur.

_Ah ! Tout de même... Vous n'êtes pas morte, à ce que je vois ? Vous auriez pu m'ouvrir !

Judy jeta plus qu'elle ne déposa le sac en papier contenant les courses qui devaient leur permettre de manger ce soir-là. Les tomates roulèrent hors de leur emballage et l'une alla terminer sa course sur le carrelage blanc de la cuisine, s'arrêtant contre la porte du frigo.

_Tenez ! Voilà du courrier pour vous. Ca vient de France. Je ne savais pas que vous aviez des connaissances en France...?
_Mais je n'ai pas de connaissance en France, répondit-elle, interloquée, en retournant l'enveloppe pour voir si l'adresse de l'expéditeur était renseignée. Ce n'était pas le cas. En revanche, le cachet indiquait que le pli provenait d'Epinal. Elle ne reconnaissait pas non plus l'écriture utilisée pour l'adresse. L'enveloppe en elle-même était toute simple : blanche, le genre d'enveloppe que vous achetez par paquet de cent en papetterie, et que vous ne devez même pas lécher pour refermer.

Intriguée, Amy s'empara de son coupe-papier - un souvenir ramené de son voyage de noces à Bali - et entreprit d'ouvrir l'enveloppe. A peine avait-elle parcouru les premières lignes que son regard s'agrandit, quitta la feuille des yeux et alla se perdre dans le vide. La lettre lui glissa des mains et sembla vouloir aller se cacher sous le radiateur.

_Amy ? Bon sang, qu'est-ce qui vous prend, Amy ! Vous allez bien ?...

Inquiète, Judy se pencha pour ramasser la feuille de papier.

_Rendez-la moi, je vous prie. Je... Je n'ai pas terminé de la lire.

Rassemblant ses esprits, Amy se força à reprendre le cours de sa lecture. Face à son regard embué, Judy ne put réprimer un petit pincement au coeur, malgré son humeur.

"Vous ne voulez pas que je vous la lise ? Vous n'y arriverez pas comme ça..."

Partagée entre pudeur et résignation, Amy lui tendit la lettre d'un bras hésitant.

Ma très chère Amy,

Cela semble faire des siècles que nous ne nous sommes plus vues. Et finalement, ce n'est pas loin de la vérité... Par où commencer ? Si je reprends la plume aujourd'hui pour t'écrire, c'est en souvenir de notre vieille promesse. Je suis sûre que, comme cela t'étais déjà arrivé par le passé, tu as repensé récemment aux Intrépides. Même si cela faisait des années que cela ne t'avais plus traversé l'esprit. Comme autrefois, tu as ressenti une fois de plus l'appel de ton serment.
Cette fois, c'est mon tour. Je sens mes derniers jours venir. Oh, rien de dramatique : pas de "pénible et longue maladie". Seulement le temps qui n'a que trop passé. Peut-être même qu'au moment où tu liras ces lignes, il sera déjà trop tard.
Tu es la dernière des Intrépides. C'est à toi que reviennent les trophées qui m'avaient été confiés.
J'espère que tu pourras venir à temps, car cela me ferait tellement plaisir de te revoir. Et puis, mon coeur a besoin de se vider avant de cesser de battre.

Je t'aime.

Eva.
(à suivre...)

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