lundi 28 mai 2007

Un ennemi de poids (14)

Vera s'avança prudemment sur le pont jusqu'à la poupe. A perte de vue, il n'y avait que de l'eau... Elle fut à nouveau surprise par une violente nausée. Elle eut juste de le temps de se pencher par dessus bord. Son oesophage était en feu et la bile laissait une désagréable amertume dans sa bouche pâteuse. Depuis combien de jours ne s'était-elle plus brossée les dents ? Depuis quand ne s'était-elle pas lavée ? Elle se sentait immonde et n'aspirait qu'à une bonne douche. Mais d'abord, il fallait relever la tête et se sortir de là...
_ Tenez, ça vous fera du bien, dit une voix derrière elle.
Vera se retourna dans un sursaut. L'une de ses chaussures lui glissa des mains et disparut dans les eaux profondes. Daniel lui tendait un verre d'eau.
_ Ramenez-moi à terre ! siffla-t-elle, sentant une colère sourde monter en elle.
_ Du calme, chérie, qu'est-ce qui vous prend ? Hier vous vous jetiez sur moi, me suppliant presque de vous emmener au bout du monde, et aujourd'hui vous me portez ce regard. Que nous vaut ce retournement de situation ?
_ Je... Je ne me suis sûrement pas jetée sur vous, vous mentez !
Mais cette remarque l'avait perturbée, elle ne se souvenait de rien, à part d'être montée dans cette voiture.
_ Je suis navré, je n'avais pas remarqué que vous étiez à ce point enivrée. J'ai bien vu qu'après tout le champagne que nous avions bu, vous étiez quelque peu émechée, mais vous sembliez encore en possession de tous vos moyens... Vous ne vous souvenez vraiment de rien ?
_ Je... Vous ne...
Vera se retourna pour s'appuyer sur la rembarde, elle était complètement perdue et ne savait plus quoi penser. Ses sentiments étaient confus. Par dessus son incrédulité venait peser un je-ne-sais-quoi de culpabilité. Elle ne pouvait pas croire qu'elle avait pu tromper Guillaume, et encore moins s'embarquer pour une croisière avec un parfait inconnu, mais quelque chose la titillait. Quelque chose qu'elle ne voulait pas admettre.
Daniel posa sa main sur son épaule et lui proposa à nouveau le verre d'eau.
_ Qu'est-ce que vous avez mis dedans ? demanda-t-elle avec un brin d'agressivité et de reproches dans la voix.
_ C'est de l'eau, et rien que de l'eau. Mais je peux vous offrir un Alka Seltzer si vous le voulez ?
_ Non, ça ira comme ça.
Et elle lui prit le verre des mains pour l'engloutir d'une traite.
_ Ecoutez, je ne sais pas ce qui a pu se passer, mais je voudrais rentrer chez moi maintenant. A quelle distance sommes-nous de Nice ? Quand pourrons-nous être de retour ?
_ Nous avions déjà bien avancé, vous sembliez si impatiente de voir Marrakech... Je crains fort que nous ne puissions y arriver avant l'aube.
_ Eh bien faites demi-tour. Je dois rentrer. Je suis désolée si je vous ai laissé entendre que je... enfin, que vous... qu'il pourrait y avoir quelque chose entre nous. Je ne devais pas être moi-même, cela ne me ressemble pas de monter dans la voiture d'un inconnu pour ensuite me saoûler à en perdre conscience.
_ Je comprends. Ce n'est pas non plus mon genre de faire boire les dames en détresse pour les enlever sur mon voilier... J'aurais dû m'apercevoir que vous aviez trop bu et que vous ne saviez pas ce que vous faisiez, mais j'était trop heureux que tout cela m'arrive. Une femme si charmante, si spirituelle, si séduisante qui me tombe presque littéralement dans les bras... C'était trop beau pour être vrai. Je vais vous ramener.
Vera était troublée. Elle se sentait doublement coupable. Et pour Guillaume, qu'apparemment elle avait trompé comme la pire des garce, et pour Daniel, à qui elle avait laissé croire à un possible voyage.
_ Merci beaucoup. Je suis vraiment désolée. Ce n'est pas de votre faute, vous êtes charmant. Maintenant, si vous le permettez, je souhaiterais prendre une douche.
_ Mais bien sûr, venez, je vais vous montrer. Et pendant ce temps-là, je vais nous préparer à manger, qu'en dites-vous ?
_ Excellente idée, je meurs de faim.
Daniel la conduisit devant la porte de la salle de douche. Elle était tellement petite qu'il valait mieux laisser ses vêtements à l'extérieur si on ne voulait pas qu'ils soient trempés. Attentionné, il avait prévu une sortie de bain, un essuie, et même une brosse à dent de voyage.
Juste avant de rentrer dans la petite pièce, Vera se retourna vers Daniel.
_ Nous n'avons pas... Je veux dire, il ne s'est rien...
_ Non, rassurez-vous, répondit Daniel dans un sourire. Je suis resté un gentleman. Mais j'avais certes plus d'espoir qu'aujourd'hui...
Dans l'exigüité du couloir, ils n'étaient qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. Et Daniel vit qu'il avait marqué un point à la teinte pourpre que prirent les joues de Vera et à son regard qui plongea vers ses pieds. Elle disparut derrière l'étroite porte.
Vera laissa l'eau chaude emporter ses larmes pendant de longues minutes, cependant, cela ne suffit pas à laver ce sentiment de culpabilité qui la rongeait. Elle ne savait plus où elle en était. Comment avait-elle pu faire ça à Guillaume ? Comment pouvait-elle encore maintenant ressentir ce trouble incongru en présence de Daniel ? Qu'allait-elle bien pouvoir expliquer à son mari en rentrant ? « Désolée trésor, j'étais saoûle et je ne savais plus ce que je faisais. Je suis partie en croisière avec un inconnu mais ne t'inquiète pas, il ne s'est rien passé... »
(à suivre...)

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