dimanche 10 juin 2007

Un ennemi de poids (16)

Enveloppée dans l'élégante sortie de bain en soie que lui avait préparée Daniel, Vera hésitait à sortir de la salle de bain. Le reflet que lui renvoyait le miroir n'était pas très joyeux. Elle avait les yeux boursoufflés d'avoir trop pleuré et ne parvenait pas à soutenir son propre regard, rongée qu'elle était par la honte.
Autant elle était soulagée de savoir qu'ils étaient occupés à faire demi-tour et qu'elle allait retrouver Guillaume (elle avait craint un instant que Daniel ne soit un pervers sexuel qui l'avait droguée et enlevée), autant elle redoutait ces retrouvailles et les explications qu'elle allait devoir fournir. D'un autre côté, il était un peu responsable aussi... Il n'aurait pas dû l'abandonner seule le jour de leur anniversaire de mariage. C'est vrai, elle savait que cette enquête était importante pour sa carrière. C'était une marque de confiance de son supérieur que de l'avoir mis sur cette affaire et il avait à coeur de prouver à son chef qu'il avait eu raison de faire ce choix. Mais leur premier anniversaire de mariage n'était-il pas important, lui aussi ?
On frappa à la porte.
_ Vera ? Est-ce que tout va bien ? cela fait une heure que vous êtes là-dedans...
_ Oui, oui, tout va bien, je vous remercie.
Elle ouvrit la porte.
_ Où avez-vous mis mes vêtements ?
_ Je les ai lavés, ils sont occupés à sécher sur le pont. Mais si vous le voulez, je peux vous donner quelque chose à mettre en attendant, ma mère a laissé une garde-robe entière de vêtements qu'elle ne porte plus...
Daniel l'emmena dans une cabine deux fois plus spacieuse (et luxueuse) que celle dans laquelle elle s'était réveillée. Un lit double, flanqué de deux tables de nuit, faisait face à un grand placard qui prenait tout un pan de mur. Pour la première fois, elle remarqua que tout était fait d'un beau bois sombre et dur. Elle ne s'y connaissait pas en bois, mais cela lui sembla être un matériau précieux. Elle n'avait pas vraiment porté attention à tous ces détails jusqu'ici, mais ce bateau était de toute évidence aménagé avec goût.
Daniel fit glisser la porte coulissante du placard, dévoilant ainsi une longue tringle bien fournie.
_ Voilà, choisissez ce qui vous plaira.
Et il quitta la pièce avec discrétion.
Vera commença l'exploration du placard et fut surprise par la diversité de son contenu. S'y trouvaient côte à côte un tailleur Yves Saint Laurent taille 36 emballé dans une housse qui sentait la naphtaline, une chemise de bucheron tachée taille 52, des vêtements homme et femme de tous styles et de toutes tailles, et visiblement aussi de toutes époques... On aurait dit un vrai supermarché de seconde main, sauf qu'ils n'étaient absolument pas rangés selon un ordre logique.
Curieuse, Vera décida aussi d'ouvrir les tiroirs. Le premier contenait visiblement le petit linge de Daniel : chaussettes, caleçons, linge de corps... Elle le referma vite pour ouvrir le second, dans lequel elle trouva ce qu'elle n'osait espérer : des gaines ! Il y en avait aussi de toutes les tailles. On aurait dit que la femme qui les avait porté avait grossi d'année en année, car on pouvait presque les dater par ordre de taille. La taille 40, la plus étroite, était dans un matériau dur, rigide et assez peu élastique que l'on ne fait certainement plus de nos jours. La taille 44, qui intéressait Vera, semblait un peu plus récente, mais néanmoins elle était sûre que ce modèle ne se vendait plus depuis longtemps.
Elle finit par jeter son dévolu sur un bel ensemble tailleur-pantalon, très classe, signé Coco Chanel. La veste courte style caban couleur marine arborait une double rangée de gros boutons et le pantalon à pont blanc, aidé par la veille gaine, avait un effet amincissant trompe-l'oeil assez agréable. Elle n'en revenait pas... C'était la première fois, et certainement la dernière, qu'elle portait un ensemble griffé. Même si ça avait été à portée de son portefeuille - ce qui n'était pas le cas - elle n'aurait jamais pu imaginer pouvoir porter une tenue haute-couture avec son gabarit !
Elle avisa un troisième tiroir, plus grand, sur sa droite. Lorsqu'elle le tira, c'est une coiffeuse pliable qu'elle découvrit. Parfait ! Il lui fallait assortir son visage au résultat probant de l'habillage, rien de tel qu'un peu de maquillage et qu'une belle coiffure. Elle releva ses cheveux en un chignon lâche, se poudra et souligna ses yeux d'un trait de khôl noir et d'un peu de mascara. Elle avait peine à se reconnaître.
Au moment de replier la coiffeuse, Vera sursauta. Daniel se trouvait là, devant elle, immobile. Elle ne l'avait pas remarqué plus tôt. Il souriait.
_ Vous m'avez fait peur ! Depuis quand êtes-vous là, à me regarder ?
_ Vous êtes resplendissante. Vous êtes vraiment une femme de goût, vous savez ? Suivez-moi sur le pont, j'ai quelque chose à vous montrer...
Il la précéda dans le petit escalier raide qui menait au pont. Là, il avait dressé une belle table éclairée à la bougie. Le soleil était sur le point de disparaître à l'horizon (elle ne s'était pas rendu compte qu'elle avait traîné si longtemps) et la lumière était magnifique. Il régnait une athmosphère particulière, presque surnaturelle. Vera fut à la fois touchée et émue. Tant de galanterie et d'attention lui donnait l'impression d'être une princesse.
_ Puis-je vous offrir quelque chose à boire ? N'y voyez pas une tentative pour vous saoûler : j'ai de l'eau, du jus d'oranges pressées, du coca light... Ou alors on pourrait se permettre une demi-bouteille de champagne rosé, mais je ne voudrais surtout pas vous forcer la main.
_ Je suis désolée, je ne voulais pas insinuer que vous m'aviez saoûlée. J'avais déjà bu avant de vous rencontrer hier soir. Je sortais du restaurant où j'avais bu une coupe de champagne suivie d'une bouteille de vin italien. J'imagine qu'il ne m'a pas fallu grand chose en plus pour être vraiment saoûle... Dans un cadre pareil, je crois que le champagne s'impose. Mais je resterai sage, promis ! Je vous remercie pour tout ce que vous faites pour moi.
_ Mais c'est tout naturel. C'est moi qui vous remercie d'avoir embelli mon existence de votre présence. C'est fou ce que certaines rencontres peuvent tout changer, vous ne trouvez pas ?
_ Daniel, dit-elle le rose aux joues, vous êtes un charmeur, mais vous avez dû remarquer ceci...
Elle lui montra sa main gauche, celle qui portait l'alliance bicolore dotée d'un brillant qui la liait pour toujours à Guillaume.
_ Oui, fit Daniel en baissant les yeux d'un air vaincu, j'ai en effet remarqué. J'espérais secrètement qu'il ne s'agissait que d'un souvenir duquel vous auriez juste un peu de mal à vous séparer.
_ Je suis navrée. Tout est de ma faute. Je ne sais pas ce qui m'a pris. Mais en attendant d'arriver à Nice, je suis ici avec vous et je veux me faire pardonner en vous montrant que je peux passer une soirée sans perdre connaissance et en restant digne. Je pense pouvoir être d'agréable compagnie, même sobre !
_ Mais j'en suis convaincu !
Et il servit deux flûtes et porta un toast à leur rencontre. Lorsqu'ils se regardèrent pour trinquer, le moment dura un peu plus longtemps qu'il n'aurait dû. Il s'apprétait à se pencher pour l'embrasser quand Vera détourna la conversation et la tête par la même occasion.
_ Vous nous avez vraiment fait une magnifique table. Ca donne faim rien qu'à la regarder. Dites, avant que l'on ne passe à table, je ne voudrais pas vous paraître indélicate, mais vous pensez que je pourrais me servir de votre radio pour prévenir mon mari de notre retour ? Il doit être mort d'inquiétude à l'heure qu'il est ! Je suis sûre que toute la police du département doit être à ma recherche. Je l'aurais bien appelé depuis mon portable, mais évidemment je n'ai pas de réseau ici.
A ces mots, le visage de Daniel devint blanc comme un linge. Vera ne remarqua rien. Il fallait qu'il détourne son attention. Tentant le tout pour le tout, il prit son menton et retourna son visage vers le sien, l'enlaça de son bras gauche et l'embrassa fougueusement. Il sentit d'abord le corps de Vera se raidir, comme si elle s'apprétaît à se débattre, puis elle céda et se laissa emporter un instant avant de le repousser doucement.
Elle leva les yeux vers lui, ouvrant la bouche comme pour parler, mais ne sut pas quoi dire. Déchirée entre le feu qui s'était réveillé en elle et l'alliance qui brûlait à son doigt, elle aurait voulu disparaître sur le champ. Elle n'avait cessé d'éprouver un certain trouble en présence de Daniel, même si elle avait voulu l'écarter et le nier. Elle avait beau essayer de s'accrocher au souvenir de Guillaume, l'homme qui la tenait dans ses bras en cet instant l'attirait comme un aimant. Lorsqu'il se pencha sur son visage pour reprendre possession de ses lèvres, elle n'opposa aucune résitance.
_ Mon Dieu je suis perdue ! pensa-t-elle avant de se laisser entraîner dans un tourbillon de baisers.
(à suivre...)

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Terribbbbllllllllllllle :-)