dimanche 17 juin 2007

Un ennemi de poids (18)

Finalement, ils n'avaient pas touché au repas et s'ils s'étaient servis de la table, ce n'était pas pour manger. Daniel ne pouvait se rassasier de son corps, il la caressait comme si ses mains pouvaient la sculpter, l'embrassait comme s'il pouvait la dévorer... Ils avaient fait l'amour quatre fois d'affilée, dans des positions dont Vera ne soupçonnait même pas l'existence, sur un matelas de coussins assemblés tel un salon marocain.
Alors qu'il s'était assoupis, Vera ne parvenait pas à trouver le sommeil. Elle avait touché le fond et sentait les larmes lui enserrer la gorge. Afin de ne pas réveiller son amant, elle se glissa doucement hors de ses bras, et descendit dans ce qui servait à la fois de cuisine, de salle à manger, de salon et de bureau, pour laisser libre cours à son chagrin.
Là, assise nue sur un tabouret, elle se haïssait pour être aussi laide, elle se haïssait pour avoir trahit Guillaume, elle se haïssait d'être aussi bête. Que pouvait-elle faire maintenant ? Il fallait qu'elle dise à Daniel que leur liaison est impossible. Mais pourrait-elle un jour soutenir à nouveau le regard de son époux ? Elle serait incapable de lui cacher ce qui était arrivé, et lui ne pourrait pas la pardonner. Vera savait qu'elle ne pourrait se pardonner elle-même.
Afin de mettre de l'ordre dans ses idées, et de préparer ce qu'elle allait dire à Guillaume, elle décida de lui écrire une lettre. Elle ouvrit le premier tiroir du bureau pour y chercher du papier et un stylo. Elle se saisit d'un trousse en cuir noir et fit glisser la tirette. Mais elle ne contenait aucun matériel d'écriture. Au lieu de cela, elle y trouva des scalpels, seringues, écarteurs, aiguilles de sutures... Elle ne savait pas que Daniel était chirurgien. Mais après tout, que savait-elle de lui ? Piquée par la curiosité, elle continua de fouiller le tiroir. Il s'y trouvait un dossier en carton gris qui ne portait aucun titre. Lorsqu'elle l'ouvrit, ce qu'elle y découvrit l'horrifia tant qu'elle sursauta et le dossier lui échappa des mains, éparpillant tout son contenu par terre.
En tentant de les rammasser pour les remttre en place, elle eut un haut le coeur tant les images étaient insoutenables. Des corps d'hommes et de femmes mutilés, couverts de sutures tellement grossières que du sang s'en écoulait encore, et posant dans des positions suggestives carrément intolérables. Certains avaient même la bouche cousue. Il y avait là des dizaines de photographies, des dizaines de victimes. Dans ce dossier se trouvaient également des tas d'articles de presses et d'internet concernant les techniques de chirurgie plastique : liposuccion, réduction mammaire, pose d'anneaux gastriques...
Il fallait qu'elle remette tout en place avant qu'il ne se réveille. Alors qu'elle refermait le tiroir, elle l'entendit appeler dehors sur le pont.
_ Chérie ? Ma déesse, que fais-tu loin de moi ?
L'entendant se lever pour la rejoindre, elle se précipita vers l'évier pour faire semblant d'y boire.
_ J'arrive, j'avais juste un peu soif...
Sa voix tremblait. Elle espérait qu'il ne s'en apercevrait pas.
_ Hmmm... Tu sais que de voir ton corps ainsi dénudé me rends complètement fou ? Viens ici que je te mange !
Il avait descendu les quelques marches du petit escalier menant au pont et était venu se caler derrière elle, nu lui aussi, pressant sur ses fesses toute sa vigueur, empoignant son sein droit d'une main et faisant remonter l'autre délicatement entre ses cuisses.
_ Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as l'air toute tendue ?
_ Non, non, ce n'est rien... J'ai des frissons, c'est tout. Ca s'est un peu raffraîchit, non ?
_ Je m'en vais te réchauffer, moi, tu vas voir...
_ C'est pas que je n'en ai pas envie, mais je ne crois pas être encore en état. Il faut que je me repose un peu. Ca t'ennuie si je me couche dans un lit ?
_ OK, princesse, comme tu voudras. Fais comme chez toi. Moi, je suis en pleine forme, je vais me défouler un peu dans la salle de sport. Si tu me cherches, c'est la deuxième porte à gauche, après la salle de bain.
Elle se força à sourire lorsqu'il l'embrassa. Elle était terrorisée. Pour ne pas lui laisser le temps de percevoir son trouble, elle fit demi-tour et se dirigea d'un pas qu'elle voulait le plus naturel possible vers la petite cabine dans laquelle elle s'était réveillée le matin, tout au bout du couloir. Elle sentait son regard dans son dos.
_ Tu ne préfères pas la grande ?
Elle redoutait cette question. Elle se retourna avec un sourire gêné pour lui répondre.
_ Disons que je ne m'y sens pas vraiment chez moi. J'aurais un peu l'impression de dormir dans le lit de ta mère, c'est un peu embarrasant.
A ces mots, Daniel eut un petit tic nerveux sur le visage.
_ Comme tu voudras...

*
_ Quelle mouche la pique ? se demanda Daniel. D'abord elle est chaude comme la braise, puis d'un seul coup froide comme un glaçon. Je l'ai peut-être vraiment épuisée... C'est vrai que je me suis particulièrement illustré, ce soir.
Tout en ramant comme un fou sur son appareil, Daniel regardait défiler les miles sur l'écran numérique tout en se congratulant pour ses performances sexuelles. Rien qu'y repenser fit naître une nouvelle érection.
Après quarante-cinq minutes de rameur, il s'empara de ses haltères et se mit face au miroir. Son corps nu était luisant de sueur et cela soulignait le dessin parfait de ses muscles. Il aimait ce corps. Et même si les rondeurs de Vera l'avaient rendu fou, il était sûr qu'elle serait encore mille fois mieux avec un corps comme le sien. Il était sûr qu'elle comprendrait. Elle avait complètement craqué sur lui, comment pourrait-elle ne pas vouloir d'un corps pareil ? Puis il seraient tellement mieux assortis... C'est vrai qu'elle était une bête au lit et que ses formes avaient l'avantage d'être particulièrement sensuelles. Et il devait reconnaître qu'elle parvenait à se sublimer en s'habillant de façon appropriée. Mais ne formeraient-ils pas un merveilleux couple s'ils étaient moins différents ? Contrairement aux autres à qui il avait dû imposer un changement, il était persuadé qu'elle accepterait d'elle-même de faire les efforts nécessaires. Dès demain, il lui en parlerait et lui proposerait un programme intensif à base d'exercices physiques et d'un régime draconnien.
Il regarda sa montre et vit que ça faisait déjà deux heures qu'il était occupé. Il était temps de prendre une douche, de préparer l'itinéraire de demain et le petit déjeuner de la princesse...

*

Guillaume avait réservé une chambre avec lits jumeaux au Mercure Grimaldi, à deux pas de la Promenade des Anglais. Avant de se rendre au restaurant de l'hôtel, ils décidèrent d'aller prendre un douche. Il avait fait chaud aujourd'hui, et le stress de la situation les avait fait transpirer plus que de raison. Guillaume passa en premier. Pendant ce temps, Bill alluma la télévision. Cela faisait des années qu'il n'avait plus pu zapper. Il avait bien regardé des matches de foot dans des bistrots, mais c'était la première fois qu'il tenait une télécommande depuis qu'il était à la rue.
Quand ce fut son tour, il était plongé en plein « Qui veut gagner des millions » avec un Foucault qui avait bien vieilli depuis la dernière fois qu'il l'avait vu...
Dans la salle de bain, il ne put s'empêcher de récolter tous les savons miniatures, cotons-tiges, shampoing et autres rasoirs jetables mis gracieusement à leur disposition par l'hôtel. Cela lui permettrait de maintenir pendant quelques jours l'aspect humain qu'il avait récupéré aujourd'hui.
En retournant dans la chambre, il découvrit que Guillaume s'était endormi tout habillé, affalé en travers de son lit. Il lui ôta ses chaussures, l'installa confortablement et s'empara de la carte du service d'étage.
Lorsque le groom vint lui apporter sa commande, le candidat millionnaire en était à la douzième question et il ne lui restait plus aucun joker. La question était « Laquelle de ces grosses fortunes n'est pas classée dans le top 10 mondial établis par le magazine Forbes ? » Les quatres propositions étaient « A- Bill Gates, B- Lakshmi Mittal, C- Michael Dell et D- Bernard Arnault »
_ Facile, dit-il en allant ouvrir la porte.
Malgré les efforts que faisaient le garçon d'étage pour faire le moins de bruit possible, Guillaume se réveilla. Probablement à causes du fumet délicieux qui s'échappait des cloches posées sur la table roulante.
_ Désolé, Bill, je me suis endormi.
_ Pas grave, j'espère que vous aimerez ce que je vous ai commandé...
_ Et de quoi s'agit-il ?
_ Chèvre chaud, Tortillas mexicaine, brochettes de boeuf marinées, pommes de terre au four et salade de jeunes pousses à la pomme et au roquefort, énuméra fièrement le garçon d'étage. Bon appétit, messieurs !
Guillaume le raccompagna jusqu'à la porte et lui tendit un billet de cinq euros.
_ Je ne peux pas accepter, monsieur, c'est contre les principes de l'hôtels, mais je vous remercie.
Pendant ce temps, le candidat millionnaire avait décidé d'abandonner la partie, ne pouvant se décider entre Lakshmi Mittal et Bernard Arnault. Jean-Pierre Foucault lança alors un appel aux téléspectateurs pour permettre à l'un d'eux de remporter cinq mille euros. Bill se précipita sur le téléphone, mais Guillaume lui tendit son portable.
_ C'est un sms qu'il faut envoyer. Tenez, je vais le faire pour vous. Quelle est la bonne réponse ?
_ C'est C-Michael Dell.
Guillaume composa le message avec agilité sur le petit clavier de son appareil dernier cri, presque aussi mince qu'une carte de crédit.
_ Et voilà ! Cinquante centimes d'euros offerts à TF1... Faut bien qu'ils vivent ces pauvres gens ! Bon appétit, Albert. Et merci pour ce succulent repas, c'est exactement ce que j'aurais commandé.
Bill ne répondit pas, car il avait la bouche pleine, mais hocha de la tête pour lui signifier qu'il lui souhaitait la réciproque.
Le portable de Guillaume sonna. Numéro inconnu. Comme il attendait des nouvelles des autres, il décrocha. L'interlocuteur se présenta et Guillaume devint pâle comme un linge.
_ C'est... c'est une blague ? Vous vous foutez de moi ?
_ Qu'est-ce qui se passe ? Mauvaise nouvelle ?
_ Non, vous avez gagné... Vous avez gagné les cinq mille euros ! Quelles coordonnées puis-je leur donner ?
_ Donnez-leur les vôtres, je suis SDF, je vous le rappelle...
Tout excité, Guillaume épella consciencieusement ses coordonnées complètes, remercia dix fois l'opératrice et raccrocha.
_ Je n'en reviens pas, dit-il à l'attention de Bill. Je joue toutes les semaines à Euromillions, je ne gagne jamais rien, et vous, il suffit que vous envoyez un sms et vous gagnez cinq mille euros ! Vous êtes un sacré veinard !
Puis, se rendant compte que la personne qu'il avait en face de lui était probablement tout, sauf un veinard, il ajouta :
_ Euh, enfin, je veux dire, ça tombera vraiment à point, ça va peut-être vous permettre de repartir du bon pied et de retrouver une situation plus normale, qu'en dites-vous ?
_ Avec ça, je pourrais tenir un mois ou deux en payant un loyer et en faisant des courses... Mais après ça, si j'ai pas de boulot, c'est de nouveau la rue. Et c'est probablement ça le plus dur pour un gars comme moi : convaincre un employeur qu'on peut être quelqu'un de fiable.
_ Moi, je sais que vous êtes quelqu'un de fiable, et quelqu'un de bien. Que diriez-vous de travailler avec nous dans la police ? Je pourrais en toucher un mot au commissaire, on est en manque d'effectif en ce moment...
_ Mais il n'y a pas des concours à passer, et tout ça ?
_ Si, mais je suis sûr que vous les passerez haut-la-main, puis je pourrai vous aider.
_ Si vous pensez que c'est à ma portée, je serais ravis de travailler avec vous. La journée d'aujourd'hui m'a vraiment appris énormément sur le métier de flic, et je crois que j'adorerais ça.
_ C'est décidé, demain j'en parle à Rousseau, je suis sûr qu'il sera d'accord. En attendant, mangeons tant que c'est chaud, je meurs de faim.
(à suivre...)

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Tu as meme une lectrice du CANADA ! :-) J'ai lu ton dernier episode en sirotant mon cafe ce matin ...