dimanche 24 juin 2007

Un ennemi de poids (19)

Vera s'était réfugiée dans la petite cabine du fond du couloir, celle-là même où elle s'était réveillée ce matin avec une gueule de bois. Elle était complètement paniquée et se demandait comment se sortir de là. C'était bien pire qu'elle ne se l'était imaginée. Dire qu'il y a seulement quelques heures, son principal souci était de trouver comment expliquer à son mari qu'elle était partie en bateau avec un inconnu. Là, elle se retrouvait avec un problème bien plus sérieux à régler : il fallait qu'elle s'échappe d'un bateau perdu en pleine mer dont le capitaine était un boucher psychopate avec lequel elle venait de tromper son mari ! A la simple évocation des photos qu'elle avait trouvé dans le tiroir du bureau, ses hauts le coeur menacèrent de lui faire rendre le champagne qu'elle avait fini par accepter.
Il y avait bien un canot de sauvetage auto-gonflant, elle l'avait remarqué qui était attaché à côté de la bouée sur l'un des murs extérieurs du poste de navigation. Mais comment arriver jusque-là sans se faire remarquer de Daniel ? Elle l'entendait qui était occupé à ramer dans la salle de gymnastique, juste à côté. Quand bien même elle y arriverait et parviendrait à le détacher, le mettre à l'eau, le faire gonfler et monter à bord, comment s'en sortirait-elle ? Elle ne savait pas le moins du monde où ils se trouvaient. Elle pouvait très bien dériver des jours et mourir de faim, de soif, ou noyée avant que quelqu'un ne la retrouve. Si jamais on la retrouvait. Puis si Daniel remarquait sa disparition, il pouvait la poursuivre, la retrouver et alors le sort qui l'attendrait... Elle préférait ne pas y penser.
Elle ne pouvait pas non plus faire semblant de rien. Tout d'abord, elle serait incapable de le regarder à nouveau dans les yeux, le toucher ou pire encore, l'embrasser. Et elle ne pouvait pas non plus se permettre d'attendre qu'il se décide à faire d'elle sa prochaine victime. Il fallait qu'elle agisse. Et vite ! Elle n'aurait qu'une seule chance, il ne fallait pas la louper.

*

En sortant de sa douche, Daniel était tout guilleret. Il avait enfin trouvé sa Galatée. Il allait pouvoir faire d'elle la femme parfaite qui sera digne de lui. Elle avait déjà la peau douce et tendre. Ses yeux, son nez et sa bouche ne nécessitaient aucune retouche et ses seins ronds et pleins avaient un port royal. Il espérait pouvoir la sculpter sans avoir à faire appel à une intervention intrusive.
Pour visualiser son rêve, il s'assit à sa table de travail et décida de remanier le dessin qu'il avait fait d'elle la veille, chez sa mère, à la façon Rose Dewit Bukater dans Titanic. Mais lorsqu'il ouvrit le tiroir, quelque chose n'allait pas. Les objets avaient été déplacés. Cette petite garce était venue fouiller dans ses affaires ! Il allait désormais être plus compliqué d'utiliser la manière douce...

*
Le réveil marquait 5:12 quand le portable de Benedetti sonna. Il se réveilla en sursaut pour décrocher.
_ Benedetti, j'écoute.
Bill s'était assis sur son lit et regardait le jeune inspecteur écouter avec attention ce que l'autre lui racontait au bout du fil. D'un seul coup, toute fatigue disparut du visage de Guillaume et il bondit hors de son lit.
_ J'arrive tout de suite !
Puis, se retournant vers Bill :
_ Ils l'ont retrouvé ! Le bateau. Il est à quelques miles des côtes chypriotes. En route, ils nous attendent avec un hélico.
Il ne lui fallu pas dix minutes pour arriver sur le tarmac. Au moment de grimper avec l'équipe d'intervention armée, le capitaine se retourna vers Bill.
_ Désolé, pas de civil à bord.
Guillaume voulut intervenir pour qu'ils le laissent grimper, mais Bill lui fit non de la tête.
_ Vas-y vite, je reste ici, tu n'as pas besoin de moi là-bas. Tu sais où me trouver, de toute façon.
Et, ponctuant sa phrase d'un clin d'oeil qui signifiait que l'affaire était entendue, il se retira pour les laisser partir.

*
Vera respira un grand coup, pris son courage à deux mains et sortit de la cabine avec l'air le plus naturel possible sur le visage.
_ Aaahh... Messaline est réveillée, bonjour ma charmante princesse, fit-il en l'enlaçant pour l'embrasser dans le cou.
Vera fit de son mieux pour ne pas se raidir et se surprit elle-même en parvenant à lui répondre d'un baiser.
_ Bonjour, mon prince charmant. Tu as bien dormi ?
Il fallait qu'elle atteigne la cuisine...
_ Je dors toujours peu. Tiens, je nous ai préparé le petit déjeuner. C'est ce que j'appelle mon élixir de beauté : pommes, carottes, citron, oeuf et un peu de poudre de perlimpimpin, dit-il en tapotant le couvercle d'une grosse boîte cylindrique en plastique argenté portant la mention « Fat Killer ».
_ Mmmh ! Merci, ça a l'air délicieux, répondit Vera en regardant de travers le verre qu'il lui tendait. Ce qu'il contenait avait une couleur rose-orangé un peu étrange. Mais il fallait qu'elle gagne du temps et du terrain. Elle avala donc une gorgée et se retint de faire une grimace en déglutissant.
La nausée la prit par surprise et elle eut tout juste le temps de plonger vers l'évier pour ne pas en mettre partout.
_ Eh bien merci, ça fait plaisir ! Je te préparerai encore ton petit déjeuner... Attends, je vais te servir un verre d'eau.
Pendant qu'il lui tournait le dos pour trouver un verre dans l'armoire suspendue, Vera se saisit de ce dont elle avait besoin et le glissa dans la poche de son peignoir. Elle détestait cette sensation nauséeuse qui ne la quittait pas depuis deux jours, mais cela lui avait permi d'atteindre la cuisine de la façon la plus innocente qui soit, et c'était parfait comme ça.
Daniel se retourna et lui offrit un grand verre d'eau qu'elle avala d'une traite.
_ C'est vraiment dommage que tu aies mis ton joli nez là où il ne fallait pas.
Elle reçut cette remarque comme un coup de poing dans le ventre. Alors comme ça il savait ? Elle était perdue. Il fallait qu'elle agisse, elle glissa ses deux mains dans les poches de son peignoir.
_ De... de quoi veux-tu parler ? Je ne vois pas, je...
Elle commençait à avoir le tournis. Ah non ! Pas ça... Il fallait qu'elle reprenne le dessus sinon elle était perdue.
_ Je suppose que c'est hier soir quand tu es descendue après que je t'aie honorée pour la quatrième fois ? Enfin, ça n'a plus d'importance. Je voulais te coacher, faire de toi une reine de beauté à la force de mon amour. Je vais être obligé d'utiliser une méthode plus expéditive, puisque tu ne veux plus de moi.
_ Mais qui t'as dit que je ne voulais plus de toi ? C'est vrai, j'ai... vu ces photos, mais j'ai compris ton ... ton travail. Je... tu...
_ Tu ne te sens pas bien ? C'est probablement ce que j'ai mis dans ton verre d'eau. Finalement, c'est une aubaine que tu aies vomi ton verre d'elixir, car mélangé à ces aliments, l'anesthésique aurait certainement mis plus de temps à agir que dans un simple verre d'eau.
C'était donc ça ? Il ne lui restait que peu de temps, elle sentait ses jambes trembler. Rassemblant tout ce qui lui restait de force, de concentration et de courage, Vera sortit ce qu'elle cachait dans ses poches. Elle jeta au visage de Daniel le contenu de sa bouteille de parfum. C'était Minotaure de Paloma Picasso. L'instant d'après, elle y mit le feu avec l'allume-gaz dont elle venait de se saisir à côté de l'évier.
Daniel n'eut pas le temps de réagir. Il poussa un hurlement où se mêlaient la rage, la peur et la douleur et porta ses deux mains à son visage.
Pendant qu'il était occupé à vociférer, Vera se sentait partir. Il fallait qu'elle se cache et se mette hors de sa portée, car si cela ne le tuait pas, il ne fallait pas qu'il puisse la trouver. Elle se hissa à l'extérieur et, incapable de tenir debout, elle rampa jusque sous un banc, derrière des bouteilles de plongée.

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