Lefebvre entra dans la salle de réunion dont ils avaient fait leur QG, avec l'expression d'un oiseau de mauvaise augure peinte sur son visage.
_ Les hélicos rentrent... Il fait trop sombre maintenant, ça ne sert plus à rien.
Guilaume voulut d'abord se mettre en colère, leur dire qu'ils ne pouvaient pas s'arrêter comme ça, que c'était sa femme entre les mains de ce monstre. Mais il savait qu'ils avaient raison. On peut utiliser un hélicoptère de nuit quand on sait où chercher, mais pour ratisser le large, il faut la lumière du jour.
Pendant que les hélicos patrouillaient et que l'enquête de voisinage continuait, Williams avait analysé le contenu de l'ordinateur de Lacomble, et même si ce dernier avait bien veillé à effacer systématiquement ses historiques de navigation, il avait tout de même laissé des traces... D'après les cookies retrouvés sur son ordinateur, on avait pu voir qu'il s'était renseigné sur plusieurs destinations ces dernières semaines. Il s'était rendu sur le site du port de Calvi, celui d'un riad à Marrakech et avait effectué de nombreuses recherches dont le point commun était chypre.
Cela leur laissait donc trois destinations possibles. D'emblée, tous les ports de ces villes avaient été prévenus et attendaient de pied ferme un voilier nommé Youngblood. Interpol diffusait déjà largement la photo de Lacomble et de Vera.
_ Tu devrais rentrer, conseilla Williams. Tu n'as pas dormi depuis plus de 40 heures.
_ Je ne peux pas rentrer et dormir pendant que Vera est peut-être occupée à se faire charcuter par ce boucher.
_ Oh si ! Tu vas rentrer, c'est moi qui te le dit, intervint Rousseau. Et c'est un ordre. Si tu refuses d'obéïr, je vais être obligé de te suspendre. Déjà, je ne devrais pas te laisser mener cette enquête, étant donné que tu es personnellement impliqué...
Au regard que lui porta Benedetti, Rousseau su qu'il avait marqué un point. Il avait d'abord cru qu'il allait se jeter sur lui, puis lu une sorte de résignation sur son visage fatigué.
_ OK, OK... Je vais me coucher. Vous avez bien une couchette, ici, Moreno ?
_ Non, tu rentres CHEZ TOI, insista le commissaire. On t'appelera si il y a du nouveau. On a un peu dormi la nuit dernière, nous.
Ca ne servait à rien de lutter. Puis si il ne dormait pas un peu, il ne serait pas en état de poursuivre demain. Il se leva de sa chaise, le dos vouté, la tête baissée, les traits tirés, et se dirigea vers la porte.
Au moment de la franchir, il se retourna vers les autres. Il restait Lefebvre , Moreno, Rousseau, Williams et... Tiens, où était passé Bill ?
_ Merci pour tout les gars, on se retrouve ici demain à l'aube. Je veux que dès les premières lueurs du jours, trois hélicos soient occupés à survoler les trajets vers les destinations suspectées.
_ A vos ordres, chef ! plaisanta Rousseau avec le sourire.
En passant devant la terrasse du « Petit Baigneur » - l'endroit où se retrouvaient souvent les habitués du port – il aperçut Bill assis à une table en compagnie de trois gaillards costauds. Une cigarette au bec et un verre de ce qui ressemblait à du coca devant lui, il tapait la carte joyeusement. Lorsqu'il croisa le regard de Guillaume, il s'excusa aussitôt auprès de ses partenaires, les remercia et quitta la table pour venir le rejoindre.
_ Ils vous ont chassé ? demanda-t-il.
_ C'est à peu près ça, oui. Disons que si je ne rentrais pas, j'étais retiré de l'affaire, suspendu et tout et tout.
_ Vous ne devez pas vous en faire. Je pense que s'il prend la peine de l'emmener en bateau, c'est effectivement pour atteindre une destination. Il ne lui fera rien avant d'être arrivé sur place.
_ J'espère que vous avez raison, c'est ce que j'essaye de me dire aussi, mais je ne parviens pas à écarter ces images de mon esprit. Ses autres victimes, ce qu'il en a fait...
Tout en parlant, les deux hommes avançaient d'un pas lent le long du parking bordé de bar-tabacs, de gargottes et de magasins de souvenirs. Arrivés à la voiture, Guillaume ouvrit sa portière et, voyant que Bill ne faisait pas mine de bouger il lui intima de monter. Il avait l'air ennuyé.
_ Montez, je vous dis ! S'il vous plaît. J'apprécie beaucoup votre compagnie, et vous me rendriez service en ne me laissant pas passer cette soirée seul.
Flatté par l'invitation, Bill monta côté passager. Guillaume fit vrombir le moteur et quitta le parking en trombe, un demi-sourire sur les lèvres.
_ Albert, je tiens vraiment à vous remercier pour tout ce que vous avez fait aujourd'hui. Vous feriez vraiment un bon flic, vous savez ?
_ C'est amusant que vous disiez ça, parce que je n'y avait vraiment jamais songé. Jusqu'à présent, les seuls flics que je connaissais sont ceux des romans que les gens oublient parfois sur les bancs de la gare. Je n'avais jamais lu ce genre de littérature avant. Je n'en avait pas beaucoup le temps, il faut dire.
_ Si je peux être indiscret, mais ne vous sentez pas obligé de répondre... Comment en êtes-vous arrivé là ? J'ai entendu dire que vous deviez votre surnom à la fortune dont vous disposiez avant...
_ Arf ! Vous ne voulez pas vraiment le savoir... Oui, j'étais riche avant, et en quelque sorte, je le suis encore plus maintenant. Je n'ai plus un balle, c'est vrai. Je dois faire la manche pour manger, et au lieu de manger le plus souvent je bois, je pue parce que je ne me lave que très sommairement, une fois de temps en temps dans les toilettes... Mais j'ai appris énormément sur les gens en vivant ainsi. Je passe mon temps – et du temps j'en ai – à observer le monde qui bouge autour de moi. Vous savez, quand on est un clodo, on est presque invisible pour les « vivants », et cela vous permet d'être témoin de scènes que peu de gens voient, parce que l'on ne montre pas ces facettes-là au monde. J'ai surpris une pervenche en train de pleurer en cachette après s'être faite engueuler par un automobiliste mécontent. J'ai vu une bonne soeur manger six tablettes de chocolat en cachette puis prier pour se faire pardonner son péché. J'ai entendu de jeunes anorexiques se plaindre de leurs bourrelets. J'ai connu des beurs qui voulaient vraiment faire changer les choses dans leurs quartiers. Je cotoie des putes qui sont vraiment des filles bien... Et puis, je vous ai rencontré, vous. Vous me donnez un sentiment d'utilité que je n'ai plus éprouvé depuis bien longtemps.
Ils étaient arrivés. Guillaume coupa le moteur. Bill s'apprêtait à sortir de la voiture, mais voyant que Guillaume ne bougeait pas, il interrompit son geste.
_ On ne sort pas ?
_ Si, si. C'est juste que... l'idée de cet appartement vide... N'y voyez aucune proposition malhonnête, mais ça vous dirait qu'on aille plutôt à l'hôtel ?
_ Monsieur est grand prince ! Comme il vous plaira, Majesté.
(à suivre...)
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