mardi 13 mars 2007

Un ennemi de poids (3)

Les lunettes à infra-rouge offraient une dimension dramatique à la scène qui n'était pas pour déplaire au ravisseur. Il fit quelques pas de plus en direction du prisonnier et observa sa réaction.

Les sanglots se turent immédiatement. L'oreille tendue, le regard perdu dans le noir, il cherchait désespérément à apercevoir quelque chose. Son souffle était court et irrégulier.
_Regarde-moi ça ! s'exclama celui qui tenait désormais le destin de sa victime entre ses mains. Le sursaut que cette intervention provoqua dessina un sourire sur les lèvres de celui qui l'avait initiée.
_Honnêtement, tu pourrais avoir un peu plus de respect pour les autres, si ce n'est pour toi... Je me demande toujours : est-ce que les gens aussi laids que toi se regardent parfois dans le miroir ? Si oui, comment pouvez-vous supporter votre image et infliger ça à autrui ? Autant je peux encore admettre les gens qui naissent laids, handicapés ou qui sont victimes d'un accident à l'origine de séquelles... ils ne peuvent pas grand chose à leur aspect physique. Autant les gens comme toi, j'ai vraiment du mal à les encadrer : vous vous laissez aller jusqu'à un point que c'en est une insulte au regard humain. Quand je vois quelqu'un comme toi passer devant moi alors que je suis attablé à la terrasse d'un restaurant, j'en ai l'appétit coupé aussi sec. Vous trimballez vos immondes excroissances graisseuses et bringueballantes comme si de rien n'était, sans même avoir l'air de vous excuser du dérangement et vous imposez vos suintances malodorantes à tout qui vous approche à moins de cinq mètres. Vous trouvez ça humain, vous ?
_Vous... Vous... Vous me retenez ici parce que je suis gros ?
_Gros ? Ah Ah Ah !... Non... Tu n'es pas gros. Tu es un amas graisseux sur pattes avec une bouche comme un gouffre ! Je n'ai rien contre les gros. Je lutte contre les atteintes au bon goût et à la dignité humaine. Ton existence est une agression pour ceux qui t'entourent : tes voisins, tes collègues, tes enfants, les amis de tes enfants, ta femme...
_Je n'ai pas de femme... Ni d'enfants...
_M'étonne pas ! Qui voudrait de ça ? Mais je suis magnanime... Je vais t'aider à retrouver une apparence acceptable.
_Co... Comment ça ? Qu'est-ce que vous voulez me faire ? Ne me faites pas de mal, je vous en supplie...
_Qui a parlé de te faire du mal ? Bon, tout le monde sait – enfin, surtout les femmes – qu'il faut souffrir pour être beau, mais est-ce que le jeu n'en vaut pas la chandelle ? Je t'offre un choix : soit je te supprime afin d'éradiquer l'ignominie que ton existence représente pour les gens normaux, soit je fais de toi un être à forme humaine... A toi de décider... Je sais que moi, je n'hésiterais pas longtemps à ta place.
_Et si je vous disais que je viens de me faire placer un anneau ? Regardez la cicatrice sur mon abdomen. Je me prends en main, je vous jure. J'ai déjà essayé tous les régimes du monde. Ce n'est pas par choix ou par laisser-aller que j'en suis là. J'observe un régime très strict depuis 10 ans et je ne parviens pas à perdre du poids. Depuis que j'ai fait poser cet anneau il y a trois mois, j'ai déjà perdu 23 kilos.
_23 kilos ? Tu pèses combien ?
_146 kilos.
_Menteur ! Je t'ai pesé quand tu étais inconsient : tu pèses 150 kilos !
_Oui, mais je suis habillé et je ne suis pas encore allé à selle. Je me pèse toujours nu et à jeun.
_Et qu'est-ce qui me dit que c'est pas des couilles, cette histoire d'anneau ? Qu'est-ce qui me prouve que c'est pas une apendicite ou autre chose et que tu me racontes ça pour t'en sortir ?
_J'ai tous les papiers du médecin à la maison, pour le suivi à l'hôpital. Vous pouvez tout vérifer. Vous pouvez me suivre et constater par vous même, surveillez-moi s'il le faut : je vous promets que vous me verrez fondre.

Il y eut un silence. L'agresseur semblait réfléchir à la question.

_Je crois qu'il n'y a qu'un seul moyen de le savoir, reprit-il.
_...
_Je dois aller vérifier par moi-même !
_Qu'est-ce que... Quoi ? Qu'est-ce que vous voulez dire ? Comment vous... Qu'est-ce que vous comptez faire ? Vous ne comptez tout de même pas... Non ! Non... NoOOOOAAAAAAARGHHHHH...

Pendant qu'il ouvrait précautionneusement l'abdomen de sa victime, en prenant garde de ne pas trop toucher d'organes vitaux, les cris s'estompèrent rapidement. Il était tombé dans les vapes... Du moins l'espérait-il. Si ce qu'il avait dit était vrai, peut-être méritait-il une seconde chance. C'est vrai, ce qu'il l'insupportait par dessus tout, c'était ce je m'en foutisme et cet égoïsme. Si celui-ci avait décidé de prendre le taureau par les cornes, il faudrait lui laisser une chance de prouver que ce ne sont pas des paroles en l'air.

Ses doigts trifouillaient la cage thoracique et finirent par sentir quelque chose. Cela ressemblait effectivement à ce qu'il avait vu sur internet.

_Bon, ok, je vais te ramener en ville. Mais je t'aurai à l'oeil ! Je te donne 6 mois...

L'autre n'entendit rien de tout cela. Lorsqu'il se réveilla, il fut d'abord aveuglé par une lumière blanche.

_Ca y est, je suis mort, se dit-il.

_Monsieur ? Monsieur vous m'entendez ? Monsieur ? Vous allez bien ?

Alors qu'il reprenait doucement ses esprit, une douleur intense explosa dans son ventre.

_Ne bougez surtout pas, monsieur. Une ambulance arrive et va s'occuper de vous. Restez éveillé et regardez-moi. Parlez-moi. Qui êtes-vous ? Qui vous a fait ça ?

Il commença à distinguer une silhouette. Il reconnut le képi, c'était un policier. Lorsqu'il baissa les yeux sur son T-shirt, il vit une marre de sang et un amas de choses bizarres qui faisaient mine de sortir de son ventre.

_Oh mon Dieu, ce sont mes instestins !

(à suivre...)

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