Vera se réveilla avec un mal de crâne carabiné. Des bribes de souvenirs remontaient à la surface de sa conscience. Elle se souvenait d'être montée dans cette belle décapotable aux côtés d'un homme séduisant qui se proposait de la ramener chez elle. En dépit de toute l'éducation qu'elle avait reçue et de l'amour qu'elle éprouvait pour Guillaume, elle avait trouvé excitant de se faire draguer de la sorte et avait accepté de monter dans la voiture d'un inconnu comme pour faire un pied de nez au gâchis de cette soirée d'anniversaire de mariage ratée.
L'homme en question... Comment avait-il dit qu'il s'appelait ? David ? Dany ?... Daniel ! C'est ça... Ou quelque chose comme ça... Daniel avait une conversation très agréable. Il n'avait cessé de la flatter et fit montre d'une grande indignation lorsqu'elle lui avait brossé le tableau désastreux de la soirée qu'elle venait de passer. Il avait les manières d'un gentleman, c'est pourquoi une fois de plus, quand il lui proposa de réparer cela avec une bouteille de champagne au bord de la plage, elle envoya ballader les conseils de sa maman et accepta, non sans une pensée coupable pour son mari occupé à travailler, peut-être à risquer sa vie... Pour se rassurer, elle tenta de se convaincre que cela ne l'engageait à rien, qu'elle agissait juste en femme libre et maîtresse de son destin.
Alors qu'elle tentait de reconstituer le puzzle des événements qui l'avait amenée ici, elle se posa pour la première fois la question de savoir où était cet ici exactement... Une mélodie qu'elle semblait reconnaître sans pouvoir mettre un nom dessus emplissait l'atmosphère. Peut-être était-ce son imagination ?Elle essaya d'ouvrir les yeux, mais elle n'y parvint pas. Alors qu'elle tentait de prendre conscience de son corps, elle ne comprit pas tout de suite la position qu'il avait prise. Elle était allongée légèrement sur le côté, un genou quelque peu remonté et un bras replié par dessus sa tête inclinée. L'image que ces impressions formaient dans sa tête donnait un résultat absurde et grotesque. Le brouillard s'épaissisait à nouveau dans sa tête. Le moindre mouvement semblait constituer un effort hors de sa portée. Elle replongea dans un sommeil profond comme un candidat à la noyade abandonne son combat contre les flots.
*
Il venait d'ajouter quelques gouttes de sédatif dans son baxter, car elle avait bien failli se réveiller. Cela faisait quelques heures qu'il n'avait pu se résoudre à la quitter des yeux. Il ne comprenait pas ce qui le fascinait chez elle. Elle avait pourtant ces bourrelets qui lui faisaient horreur, ces petits doigts boudinés, ces chevilles trop fortes, ces bras tout potelés et le début d'un odieu double-menton. Cependant, il y avait quelque chose de différent chez elle... En temps normal, il se serait déjà précipité sur son scalpel, voyant tel un styliste de génie quelle amélioration en ferait un pièce sublime, parfaite.
Mais depuis l'instant où il l'avait aperçue dans la lumière des réverbères, elle l'intriguait. Il répugnait encore à utiliser le terme beauté à son égard, mais elle dégageait quelque chose qu'il ne parvenait pas à identifier. Il avait le sentiment que son intervention pourrait être plus néfaste qu'utile, cette fois... Pris d'un élan de romantisme incontrôlable, il l'avait précautionneusement dénudée afin de la faire poser telle Rose dans Titanic. Ce faisant il n'avait pu s'empêcher de respirer l'odeur de sa peau. Il avait poussé le vice jusqu'à parcourir du bout des doigts son corps ainsi offert, partant à la découverte de ses courbes, goûtant à la chaleur de l'intérieur de ses cuisses, à la douceur du creux de ses seins, à la dureté de ses petits mamelons rosés... Etait-ce pour faire durer le plaisir ou par crainte de la souiller, il n'avait pas voulu la pénétrer malgré l'érection qui le tiraillait.
Il s'assit alors en face d'elle, faisant tourner Céline Dion en boucle, pour la regarder encore et encore et tenter de comprendre ce qui la rendait différente...
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Quand Guillaume rentrait tard, comme ça, il veillait toujours à faire le moins de bruit possible pour éviter de réveiller Vera. Il était près de cinq heures du matin, elle devrait se réveiller dans peu de temps pour aller ouvrir la plage et ne serait pas capable de se rendormir s'il la réveillait maintenant. Il avait donc pris l'habitude de se déshabiller dans le couloir sans allumer la moindre lumière. Il se glissa nu dans les draps frais, se réjouissant d'avance du contact agréable de leurs deux corps. Lorsque sa main ne trouva que le vide là où devait se trouver Vera, il alluma aussitôt sa lampe de chevet pour que ses yeux lui confirment ce qu'il savait déjà : Vera n'était pas là !
Il fut pris d'un instant de panique en pensant qu'elle n'avait pas répondu à son coup de fil, plus tôt dans la soirée... Sans prendre la peine d'enfiler un peignoir, il descendit dans le salon pour voir si elle ne s'était pas endormie devant la télévision. Personne... Il consulta le répondeur : pas de message. Son portable : pas de message non plus... Cela ne lui ressemblait pas. Et lui, comme un imbécile, qui l'avait laissée rentrer seule en pleine nuit. Quel con !
Il appela aussitôt l'hôpital, pressentant que cela ne servirait à rien, et en effet... Personne correspondant à l'identité ni même à la description de Vera n'avait été admis.
Il appela Rousseau... Une voix pâteuse lui répondit à l'autre bout de la ligne.
_ T'es pas bien d'appeler à cette heure-ci ? Pourquoi tu vas pas dormir avec ta femme, je croyais que t'étais pressé de la retrouver...
_ Parce qu'elle a disparu...
_ Comment ça ?
_ Elle n'est pas rentrée à la maison, n'a pas laissé de message, n'a pas été admise à l'hôpital et...
_ Holà holà holà ! Tu veux dire que t'as déjà appelé l'hôpital et tout ? Tu crois pas que t'exagères un peu ? T'es sûr qu'elle est pas juste allée dormir chez sa mère, sa soeur ou une copine parce qu'elle te râle dessus pour la soirée gâchée ?
_ Si c'était le cas, je suis sûre qu'elle m'aurait laissé un message incendiaire pour me l'expliquer. C'est pas son genre de partir sans rien dire. S'il lui arrive quoi que ce soit, je me flingue ! C'est moi, le connard qui l'ai laissée rentrer toute seule en pleine nuit.
_ Panique pas, on va la retrouver, suis sûr qu'elle est pas bien loin et qu'elle va très bien. Ecoute, je te propose d'attendre deux ou trois heures, que les gens normaux soient réveillés, et ensuite, tu appelles son carnet d'adresses. Si personne ne l'a vue ni entendue, on lance les recherches, ok ?
_ Ok, t'as sans doute raison, désolé de t'avoir réveillé. Bonne nuit...
Incapable de se rendormir ou de penser à autre chose, il fit d'abord les cent pas dans son salon, déambulant nu comme un vers puis, au bout de cinq interminables minutes, se jeta sur le petit carnet rouge qui était supposé contenir les coordonnées de leurs proches. Il se rendit vite compte qu'il n'était pas vraiment à jour. Il se souvint alors qu'ils avaient fait une liste bien plus complète pour leurs invitations de mariage. Il fonça dans son bureau et alluma l'ordinateur. Après une première sélection de noms, il opéra un tri basé sur la distance et passa son premier coup de fil à 5h37.
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