vendredi 28 février 2014

La belle endormie

Elle se réveilla brusquement, sans comprendre où elle était. Sans parvenir à ouvrir les yeux. Sans parvenir à faire le moindre mouvement. Elle avait déjà eu ce genre de rêves ou l'on rêve qu'on se réveille... Il se passe des choses, souvent mauvaises, on veut parler, bouger, se lever, mais on reste emprisonné dans son propre corps comme sous une chape de plomb.

Un autre craquement assourdissant. C'était un bruit similaire qui l'avait tiré de son sommeil.

Elle était prise d'angoisse et de panique, elle se débattait intérieurement pour se libérer. Elle appelait, pleurait, hurlait, mais aucun son ne sortait de sa bouche. Elle avait la gorge si sèche que chaque déglutition lui donnait l'impression d'avaler du sable.

Elle entendait maintenant de nombreux autres sons. Comme des grattements, ou des frottements, parfois des coups... Et puis ce qui ressemblait à des voix, mais très lointaines et assourdies. Elle ne comprenait rien de ce qu'elles disaient. A l'intonation et au débit, elle devinait une sorte d'excitation. Instinctivement, cela l'effraya encore plus.

Elle était toujours enfermée dans son corps. Il fallait qu'elle reprenne possession de ses moyens. Faire abstraction de ce qui se passe autour d'elle et se concentrer sur la moindre parcelle de son corps pour en prendre pleinement conscience. A commencer par ses pieds. Elle tenta de remuer les orteils. La première tentative échoua. La seconde également. Ainsi que les suivantes. Mais elle essaya encore et encore et finit par remuer les deux gros orteils, de concert, au bout de ce qui lui sembla une éternité.

Les voix s'approchaient, elle commençait à distinguer les sons plus clairement. On aurait dit qu'ils parlaient une langue étrangère, mais elle ne la reconnaissait pas...

Il ne fallait surtout pas qu'elle se laisse déconcentrer... Ses orteils bougeaient. Maintenant les chevilles. Ce fut un nouveau combat contre elle-même. Et pendant qu'elle essayait vainement de bouger ses articulations, des bribes de souvenirs remontaient à la surface.  D'abord une profonde tristesse.

Les chevilles. Bouger les chevilles.

Elle se revoit debout dans sa chambre, un verre de vin lui échappe des mains et vient se briser en mille éclats sur les dalles. Elle s'effondre au sol en un hurlement.

Ca y est ! La cheville gauche a sursauté. Maintenant la droite...

Elle est à genoux et se jette de la terre sur la tête. Autour d'elle, des pleurs de femmes.

Les deux chevilles remuent maintenant, comme si ces souvenirs aidaient son corps à revenir à lui.

Poc ! C'était très proche, cette fois. Comme si on avait frappé à la porte. Une voix s'exclame, appelle les autres. Elle ne comprend toujours pas ces que ces hommes racontent. Ils sont étrangers, c'est sûr. Mais elle n'a jamais entendu ce dialecte avant.

Nouveau souvenir. Elle se revoit aux côtés d'un homme séduisant et sûr de lui. En posant son regard sur lui, elle ressent un amour profond et un respect sincère. Devant eux défilent des gens de tous les horizons. Elle a entendu de nombreux langages, mais aucun ne ressemblait de près ou de loin à celui de ces hommes. Il faut qu'elle parvienne à reprendre le contrôle, et vite ! Ils approchent. Elle doit être en mesure de fuir, ou de se défendre, ou de supplier, ou...

Ssshhhh... Un frisson vient tout juste de parcourir son échine ! Est-ce l'espoir ou l'adrénaline, mais à ce moment, elle se sent plus forte que tout les cauchemars emprisonnants du monde, et parvient à remuer les doigts, les poignets et même les coudes... C'est alors que sa main entre en contact avec une paroi dure et froide. Cette sensation... Un autre flash et elle comprend que l'homme qu'elle aimait est mort. Ce deuil...

Lumière aveuglante.

D'un coup, les voix excitées se sont tues et un silence de mort s'est abattu dans la pièce.

Elle ne voit rien. Est-ce parce que ses yeux refusent encore de s'ouvrir ou à cause de cette lumière horrible ? Mais elle peut les sentir. Ils l'ont trouvée. Ils ont l'air surpris, car aucun ne bouge. On dirait presque qu'ils retiennent leur souffle... C'est le moment ! Elle rassemble ses forces, pousse un hurlement et mets tous ses membres en action pour fuir aussi vite qu'elle peut.

Malheureusement, ses gestes son beaucoup trop lents. Elle voulait bondir sur ses jambes et se mettre à courir, mais tout ce qu'elle a réussit à faire, c'est lever les deux bras et la tête comme un bébé qui réclame sa maman. Ils vont l'attraper; elle est à leur merci.

Mais à sa grande surprise, alors qu'elle attend que leurs mains se referment sur ses poignets d'un instant à l'autre, c'est une scène tout autre qui prend vie sous ses yeux. Les hurlements fusent de toutes parts, les hommes prennent la fuite ventre à terre, laissant tomber avec fracas les armes qu'ils semblaient tenir en main. L'un d'eux s'effondre au sol, purement et simplement. Et bientôt elle se retrouve à nouveau seule. Elle en profite pour se glisser hors de son lit et pose les deux pieds à terre. Le sol est froid. Elle se déplace laborieusement, toujours aveuglée, les mains tendues en avant pour repérer les obstacles. Elle perçoit une odeur d'urine, sur sa gauche. Il semblerait que l'homme qui s'est effondré là n'est pas mort, mais s'est fait dessus. Elle sent son regard posé sur elle et les tremblements de sa respiration. De quoi ont-ils si peur ? Elle essaie de lui poser la question, mais les sons qui sortent de sa bouche ne sont pas compréhensibles. Comme si sa langue était endormie... L'homme s'évanouit à nouveau. Elle décide alors de poursuivre son chemin et de se trouver une cachette. Tâtonnant, elle trouve un mur, puis une ouverture dans ce mur, qui donne sur un couloir. Elle décide de fuir l'aveuglante lumière et de s'enfoncer dans les ténèbres, où elle trouvera une une cachette plus sûre, le temps que ces hommes se lassent de la trouver.

....

- Vous vous foutez de ma gueule, n'est-ce pas ?
-  Non, Monsieur, je vous assure... Elle était là, elle...
- Ce que vous essayez de me dire, c'est que vous avez perdu une momie vieille de 4500 ans ?
- Non, ce n'est pas ça, elle s'est...
- Comment ça "elle s'est..." ? Quoi ? Elle s'est quoi ?
- ... enfuie. Monsieur.

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