dimanche 8 juillet 2007

Un ennemi de poids (20)

Daniel ne s'était vraiment pas attendu à ça. Lorsqu'il avait découvert la trahison de Vera, il avait décidé de l'anesthésier le temps de la transporter jusqu'à son nouveau laboratoire. Elle devait gentiment s'endormir et elle aurait enfin été entièrement à lui. Son oeuvre. Sa chose. Au lieu de ça, cette sorcière venait de le défigurer.
Après un premier instant de surprise mêlée de douleur, Daniel avait immédiatement plongé son visage sous l'eau. Alors qu'il s'aspergeait à l'aide de ses mains, il sentait des lambeaux de peau se détacher. Il était parvenu à éteindre les flammes, mais l'alcool avait fait des dégâts considérables, le brûlant au troisième degré sur presque la totalité du visage et du cou. Il avait vraisemblablement perdu l'usage d'un oeil. Plus la douleur se faisait mordante, plus la rage montait en lui, comme une bête féroce qui se débattait dans sa cage thoracique, prête à se défaire de ses liens. Il hurlait tant pour exprimer sa douleur que pour évacuer sa colère.
Puis vint le désir de vengeance, implacable et plus puissant que tout autre sentiment. Reprenant son calme, il saisit un essuie de cuisine, l'imbiba d'eau et s'en recouvrit partiellement le visage, un peu à la façon d'un bédouin.
Il n'était plus question de la rendre plus belle ou plus mince. Non, elle avait gâché cette chance-là. Il voulait lui faire mal. Elle allait payer pour ce qu'elle venait de faire. Elle venait de signer pour un voyage au pays des cauchemars. Avant longtemps elle prierait pour ne jamais être née.
Mais avant ça, il fallait qu'il trouve la morphine. Pas pour elle, non. Pour calmer sa propre douleur. De toute façon, avec la dose d'anesthésiant qu'elle venait d'ingurgiter, elle n'avait pu aller bien loin. Il pouvait prendre son temps, elle ne s'envolerait pas. Dès qu'il l'aurait retrouvée, il la ligoterait fermement et attendrait qu'elle se réveille pour lui faire endurer son juste châtiment.

*

C'était la première fois que Guillaume montait en hélicoptère. Le bruit était envahissant. Le pilote et son co-pilote, ainsi que les membres de l'escadron d'intervention qu'il côtoyait à l'arrière étaient tous équipés d'un casque avec un micro. Bien qu'il ait vu bouger leurs lèvres à quelques reprises, ils parlaient peu dans l'ensemble. Les visages étaient graves, fermés. Il n'avait croisé d'autres regards que deux fois, brièvement.
Ils étaient concentrés sur leur mission, et en un sens, c'était plutôt positif. Mais cette mission en question était de sauver la femme qu'il aimait. Il se sentait seul face à cette énorme responsabilité. Si Bill avait été là, il n'aurait pas eu besoin de mots ou de regards pour partager son angoisse.
Les minutes défilaient comme des siècles. Guillaume fixait l'horloge numérique qui égrénait les heures, minutes et secondes en chiffres rouges dans le cockpit. Il avait parfois l'impression que les secondes faisaient marche arrière tant le temps passait lentement. Chaque instant passé correspondait à un supplice que sa tendre et douce était peut-être en train de subir et cela lui était insupportable.
Alors pourquoi avoir refusé l'intervention des gardes-côtes chypriotes ? Parce que ce type de profils psychologiques instables pouvait très bien péter un câble, et qu'il fallait que cette intervention soit rapide, précise et professionnelle. La moindre hésitation pourrait coûter la vie à Vera. Pour se rassurer, Guillaume se raccrochait à l'hypothèse émise par Bill comme quoi s'il l'avait emmenée en bateau, c'était effectivement pour atteindre une destination et qu'il ne lui ferait rien tant qu'ils étaient à bord.

*

Cachée tant bien que mal derrière les bonbonnes d'oxygène destinées à la plongée, Vera perdait pied. Elle sentait sa conscience partir en lambeaux, et luttait pour ne pas sombrer complètement. Il fallait qu'elle puisse se défendre. Elle avait entendu ses hurlements, puis des bruits dans la cuisine. Il n'était donc pas mort.
Elle aurait voulu trouver une meilleure cachette, mais n'était plus en état de se déplacer. Elle s'était alors recroquevillée, essayant de se faire toute petite. Elle aurait aimé pouvoir disparaître, ou prendre une potion magique comme Alice, mais au lieu de ça, elle avait l'impression d'être énorme, de dépasser de partout. Dans un dernier mouvement pour se rendre invisible, elle fit basculer l'une des bouteilles qui la protégaient. Dans un boucan monstrueux, elle se mit à rouler sur le pont, comme pour avertir le bourreau de la cachette où s'était réfugiée sa victime.
Comme paralysée par l'anesthésiant, Vera était incapable de bouger, fût-ce le petit orteil. Le yeux grands ouverts, elle voyait cette bouteille s'agiter à ses pieds. On aurait dit une vilaine petite soeur l'accusant injustement d'une bêtise.
(à suivre)