lundi 18 décembre 2017

Le jour où j'ai hébergé des réfugiés

Depuis le temps que je suis dégoûtée de ce qui se passe au Parc Maximilien... Ces milliers de réfugiés à la rue, qui subissent les raffles de la police, le froid, la faim, la maladie, le rejet. Je m'insurge sur Facebook, j'admire les volontaires de la plateforme citoyenne d'aide aux réfugiés qui, eux, agissent pour leur prochain...

Ce week-end, j'ai décidé d'agir, moi aussi. Sur un coup de tête. Je suis allée au supermarché, j'ai acheté de quoi faire 6 paquets à offrir à des réfugiés. J'y ai mis une salade de thon à la mexicaine, une compote, des speculoos, des chocolats, des babybels, un jus multivitamines, une bouteille de coca, des mouchoirs, des bougies chauffe-plat, un rasoir et une brosse à dent.

Puis, sur le chemin vers le Parc, je me suis dit que, vu que j'étais seule ce week-end, je pourrais peut-être héberger quelqu'un. Arrivée au Parc, j'ai croisé quelques réfugiés à qui j'ai offert mes paquets, demandant mon chemin jusqu'à les trouver tous rassemblés Gare du Nord, où des volontaires distribuaient des repas chauds. Là, on m'a dirigée vers la personne en charge de coordonner l'aide. Je lui ai proposé d'héberger 3 personnes. Elle m'a trouvé 3 soudanais qui se connaissaient. Ils étaient jeunes et parlaient plus ou moins anglais (au moins deux d'entre eux). Je leur ai dit que je pouvais les héberger pour la nuit et que je les ramènerais ici le lendemain. Je les ai aussi prévenus que je n'habitais pas à Bruxelles, mais à la campagne.

Au moment d'entrer dans la voiture, un quatrième qui semblait les connaître s'est approché de nous, ils m'ont demandé si on pouvait l'emmener avec nous. Je me suis souvenue que j'avais encore un matelas pneumatique, et une place de plus dans la voiture. J'ai accepté.

Dans la voiture, je me suis présentée et j'ai demandé leurs noms. Il y avait Ali, Abdu, Mossab et Ahmed. Ils avaient l'air épuisés, mais charmants.

Arrivés à la maison, je leur ai donné des serviettes pour qu'ils puissent prendre une douche. J'ai installé le matelas pneumatique dans la chambre des filles et j'ai enfourné les pizzas.


Nous avons passé la soirée à discuter et à regarder YouTube. Ils m'ont fait écouter de la musique soudanaise, m'ont montré des vidéos de fêtes traditionnelles. Ils ont une étrange tradition où les hommes se fouettent les uns les autres (jusqu'au sang) au son de la musique. Si j'ai bien compris, ils font ça à diverses occasions, notamment durant les mariages. Presque tous ceux qui étaient là avaient déjà participé à ce genre de célébrations.

Du coup, je leur ai montré des vidéos du carnaval de Binche et les photos de mon mariage.

Ils m'ont demandé si j'avais une religion, quand j'avais commencé et fini mes études, quand je m'étais mariée... Ils étaient étonnés qu'on ne vive pas avec nos familles mais que chacun vivait dans des maisons séparées. Ils m'ont expliqué que chez eux, les femmes restent à la maison et qu'à 17 ans, ils se mariaient.

Le dimanche matin, nous avons pris un bon petit déjeuner, et c'est vers 16h que je les ai ramenés au Parc. Je suis restée en contact sur Messenger avec l'un des quatre, on a échangé les photos de cette soirée.

Puis ce lundi soir, en rentrant du boulot, je crois reconnaître l'un de leurs visages au bord de la route, à une cinquantaine de mètres de chez moi. Je ralentis, regarde dans mon rétro si cette personne reconnait ma voiture, mais elle continue son chemin. Je me dis que j'ai dû rêver.

Je rentre chez moi, et trente minutes plus tard, on frappe à ma porte. C'est bien celui que j'avais cru reconnaître sur le bord de la route. Il a retrouvé mon adresse et a réussi à venir jusqu'ici. Il m'explique qu'il a passé la nuit en prison, et il me montre un ordre de quitter le territoire (en flamand) que lui a remis le policier. Il me dit que demain il va se rendre à Fedasil pour rentrer sa demande d'asile.

Je le fais entrer, lui prépare à manger et reprépare la chambre que je venais de ranger. Pendant qu'il mange, je cherche sur internet comment l'aider à rentrer son dossier. Je lui trouve quelques adresses utiles qu'il pourra aller voir demain, à commencer par les associations d'aide aux réfugiés. Il a besoin d'une assistante sociale et d'un avocat, j'espère qu'ils pourront l'aider. Je n'y connais rien en procédure, mais je lui recommande de ne pas se rendre directement à l'Office des Etrangers avant d'avoir été voir l'une de ces associations.

Il est frigorifié. Il a mal à la tête. Il a l'air épuisé. J'en profite pour demander à celui avec qui je suis encore en contact sur Messenger s'il va bien. Lui n'a pas eu d'ennui avec la police. Il m'envoie une photo de lui souriant. Je suis rassurée (un peu) sur son sort, en tout cas pour l'instant.

Je suis contente que celui-ci soit venu, parce que je peux l'aider ce soir encore. Mais je vais devoir lui expliquer qu'il ne pourra pas revenir quand j'aurai mes filles. Et que je ne pourrai pas le conduire à Bruxelles demain.

Je suis contente de ce que j'ai fait ce week-end. J'aurai fait ma part du colibri. Ce n'est qu'une toute petite goutte, mais c'est déjà ça. Et il y en aura peut-être d'autres.