dimanche 14 décembre 2008

Oscar & Fred - La question

Fred, qui était rouge de honte l'instant d'avant d'avoir osé prononcer à voix hautes ses idées saugrenues sur les vampires, devint d'un seul coup blanc comme un linge. Face à lui, Oscar souriant de toutes ses dents avait l'air d'un touriste de retour de la Costa Del Sol. Il n'en croyait pas ses yeux ! Bien sûr, il n'avait pas les longues dents de Dracula, mais les canines de son nouvel ami étaient sans conteste plus affûtées que les siennes. D'un seul coup, toutes ses lectures refaisaient surface et se présentaient à lui sous un angle nouveau. Mille et une questions fusaient dans son esprit, mais elles se bousculaient et aucun son ne franchissait le barrage de sa bouche. Il fut pris d'un vertige soudain : picotements dans les jambes, petites taches noires qui se mirent à danser devant ses yeux, sifflement dans les oreilles...

Sentant son ami à deux doigts de la syncope, Oscar fut pris de panique et cessa de sourire.

- Eh ! Reste avec moi, dit-il en le retenant par le bras alors qu'il commençait à vaciller.

- ... un v... un vampire...

Ce sont les seuls mots que Fred parvint à articuler avant de tourner de l'oeil et de s'écrouler dans les bras d'Oscar.

Avec toutes les précautions du monde, Oscar l'étendit à même le sol, posant délicatement sa tête sur ses genoux. Alors qu'il lui écartait la mèche de cheveux qui lui barrait le front, sa tête glissa sur le côté, lui présentant ainsi sa nuque fragile, comme s'il avait voulu le tester par une ultime tentation. Mais il a dépassé ce stade à présent : Fred n'est déjà plus une proie à ses yeux.

Il faisait parfois cet effet-là aux mortels qui découvraient sa véritable nature. Il n'avait pas voulu effrayer son ami, alors pour se rassurer, il sonda l'esprit du jeune garçon pour comprendre si c'était de la terreur ou plutôt le vertige qu'une telle révélation avait provoqué en lui qui lui avait fait perdre connaissance. Fort heureusement, c'était plutôt la deuxième option. Il voyait des milliers d'images se bousculer derrière les paupières closes. Elles étaient issues de films, de livres, de gravures anciennes... Il semblait être réellement passionné par le sujet. Il y avait dans ces souvenirs une foule de sources qui n'étaient pas vraiment destinées aux enfants de son âge. Il avait face à lui le plus jeune expert ès vampires qu'il lui avait été donné de rencontrer durant ces siècles d'errance. Ces passionnés - les vrais, pas ceux qui se contentent d'enfiler les livres et films d'horreurs pour se faire frissonner, mais ceux qui se plongent aussi dans les livres d'histoire, les légendes d'autrefois et les faits divers - attisent toujours sa curiosité. Il lui est arrivé que certains d'entre eux lui apprennent des choses qu'il ignorait jusqu'alors sur sa condition, ses congénères, leur histoire...

- Hé, arrête de me caresser les cheveux, je ne suis pas ta petite amie ! décoche soudainement Fred, alors qu'il se dégage des genoux d'Oscar en souriant d'un air mêlant la gêne et la moquerie.

- Désolé, je t'ai pris pour une damoiselle en détresse, à tomber dans les pommes comme ça... répondit le vampire sur le même ton.

Fred ne pouvait détacher son regard. C'était comme s'il le voyait pour la première fois. Oscar entendait d'ici toutes les observations qu'il formulait sur sa lividité, l'aspect dur et froid de sa peau qu'il avait d'abord attribué à sa vie de vagabond, le langage parfois un peu dépassé qu'il utilisait... Maintenant qu'il avait confirmation de ses soupçons, il le redécouvrait sous un autre angle. Il resta un long moment sans rien dire, juste à le regarder intensément. Oscar cessa de sonder son esprit, parce que toutes ces réflexions lui donnaient le tournis. Finalement, la première question qui sortit de sa bouche fut :

- Qu'est-ce qui te ferait vraiment plaisir ?

Silence interloqué. Oscar s'attendait à tout sauf à ça. De "quel âge as-tu ?" à "qui t'a fait ça ?" en passant par "qu'est-ce que ça fait ?", il se demandait quelle serait la première question à franchir ses lèvres, mais jamais il n'aurait imaginé... ça. Une question toute simple de prime abord, mais tellement lourde de sens. Ce jeune garçon, visiblement passionné des vampires, rencontre l'objet de sa passion - chance que très peu d'humains ont connue, et encore moins en sont sortis vivants - et au lieu de poser mille et une questions pour assouvir sa propre curiosité, il s'enquiert de connaître ses désirs profonds. Personne ne lui avait jamais posé cette question, même de son vivant. Il voulait y apporter une réponse sincère.

- Je vais y réfléchir, dit-il simplement.

Et il disparut.

dimanche 7 décembre 2008

Oscar et Fred - La révélation

Quand Fred rejoint sa chambre sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller ses parents qui ronflaient de l'autre côté du couloir, les chiffres rouges sur son réveil indiquaient 2h22. Il sourit. Encore un heureux présage, aimait-il à croire. Chaque fois qu'il avait la chance de voir une série de chiffres identiques s'afficher sur l'écran, il faisait un voeu. Son heure préférée, c'était 22h22. Le chiffre deux était son chiffre porte bonheur, celui de l'amitié, celui qui anéanti toute solitude, qui vous rend plus fort... Trois fois deux, c'était presque aussi bien que quatre fois deux, non ? En fixant le réveil droit dans les chiffres, il répéta dans sa tête son voeu autant de fois qu'il le pu avant que le dernier deux ne se transforme en trois. Il ne disait jamais ses voeux à voix haute, de peur que quelqu'un ne les entende. Car il savait qu'un voeu que l'on partage ne sera pas exaucé.

Il se glissa dans les draps frais et ne tarda pas à trouver le sommeil. Un sommeil rempli de rêves joyeux, comme il n'en avait plus fait depuis longtemps. Il avait plutôt pour habitude de faire des cauchemars, s'imaginant abandonné au fond d'un bois pendant une sortie en forêt avec l'école, ou attaché nu à un poteau au milieu de la cour de récréation, ou trébuchant dans une flaque de boue devant Amélie dont il était secrètement amoureux... Rien de tout cela cette nuit. Il faisait un rêve étrange où il se roulait dans la neige, dessinant des anges avec son nouvel ami, avant de jouer une partie de cache-cache endiablée dans une sombre forêt. Bien que son rêve se déroule la nuit, il ne se sentait nullement en danger, lui qui était plutôt du genre craintif.

Alors que Fred dormait du sommeil du juste, Oscar en avait fini avec son renard. Il avait failli le laisser s'enfuir, un peu plus tôt, quand il avait perçu les pensées du jeune garçon priant devant son réveil matin. Il avait alors esquissé un sourire et répondu à voix haute "Oui, je serai au rendez-vous". Le renard, qui n'avait pas senti Oscar s'approcher, fut surpris par le son de sa voix et voulu déguerpir, mais les réflexes du prédateur furent plus afûtés que ceux du pauvre goupil.

Même si cette maigre pitance n'avait pas suffit à le rassasier, il était comblé pas la simple rencontre qu'il venait de faire. Jetant un oeil par dessus la cîme des arbres pour voir la lune descendre de son piédestal, il se décida à retourner au bunker pour y passer la journée.

Visiblement, les élèves de sa classe avaient dû remarqué qu'il y avait quelque chose de changé en Fred, car tous l'ont regardé d'un drôle d'air, quand il est arrivé avec un drôle de sourire sur les lèvres. Visiblement, les quolibets ne lui faisaient pas grand effet : il ne semblait même pas les relever. Lui qui rasait habituellement les murs marchait aujourd'hui la tête haute, le regard perdu dans ses pensées et éclairé par une sorte de lumière intérieure.
La journée lui parut interminable. A plusieurs reprises, ses professeurs durent le rappeler à la réalité alors que son regard se perdait par la fenêtre, plongé dans les souvenirs de la nuit dernière.

Quand il soumit son carnet de correspondance à ses parents juste avant le dîner, il ne parut même pas affecté par la nouvelle dispute que cela avait généré. Ils se reprochaient l'un l'autre la stupidité de leur fils et sa mauvaise éducation. Il sortit lui même les pâtes de l'eau quand la minuterie sonna, se servit une assiette avec de la sauce et du fromage râpé et la mangea tranquillement alors que ses parents continuaient à crier sans même s'appercevoir de sa présence. Une fois qu'il eut fini, il retourna à la cuisine, se servit une deuxième assiette, la recouvrit d'une feuille d'aluminium et sortit tranquillement par l'arrière-cuisine. Ses parents ne s'apperçurent pas plus de son absence...

Arrivé sous le vieux chêne, son coeur explosa de joie lorsqu'il découvrit qu'Oscar l'y attendait déjà.

- Tiens ! Je t'ai ammené une assiette. Je me suis dit que ça te ferait plaisir de manger un truc chaud. J'espère que tu aimes les spaghetti bolognese ? Moi, c'est mon plat préféré...

- Oh, merci ! C'est très gentil...

Fred ne remarqua pas l'embarras de son nouvel ami. Manger des pâtes et des légumes ne lui était pas agréable : il ne goûtait absolument rien. Mais par contre, manger de la viande morte le rendait particulièrement malade. Tant pis, il ne voulait pas décevoir Fred, ni éveiller en lui le moindre soupçon. Il se saisit donc de l'assiette et des couverts que lui tendaient son hôte et entrepris timidement d'enrouler une bouchée sur sa fourchette. Lentement, il déposa le contenu de la fourchette sur sa langue et commença à mâchonner comme s'il s'agissait d'un steak bien dur.

- Tu n'es pas obligé de faire ça, tu sais...

- Pardon ?!? Pourquoi tu dis ça ?

- Ben... Oh et puis non, c'est ridicule, tu vas me prendre pour un dingue.

- Vas-y, dis-moi. Où veux-tu en venir ? Je ne te suis pas...

- C'est à dire que... Je t'ai pas mal observé. J'ai retourné tous les éléments mille fois dans ma tête aujourd'hui pendant les cours. Et j'en suis venu à la conclusion complètement débile que... Tu promets de pas m'en vouloir ? Tu vas te moquer, c'est sûr !

- Non, vas-y je te dis !

- Eh bien, je crois que tu es un vampire !

Oscar avala de travers la bouchée de pâtes qu'il mâchait depuis près d'une minute et fut pris d'une effroyable quinte de toux.

- Oh merde ! Je suis désolé. Ca va, Oscar ? demanda Fred d'un air désemparé en lui tapotant le dos pour l'aider à faire passer sa toux.

Parvenant à se resaisir, Oscar se redressa.

- Et qu'est-ce qui t'a amené à cette conclusion ? demanda-t-il de la façon la plus neutre possible ?

- Je suis fan d'Ann Rice. J'ai lu toute sa Chronique des Vampires. Je crois qu'elle les a vraiment côtoyés, tu sais ? Pour connaître autant de détails sur eux, c'est obligé.

- Donc, je te fais penser aux vampires d'Ann Rice ?

Sacrée Ann. Elle leur en a fait voir, celle-là, avec ses révélations sur Lestat, Louis, Armand et les autres. Mais les vampires, qui étaient des êtres solitaires pour la plupart, y avait trouvé une sorte de réconfort, et la plupart avaient fini par s'attacher à la dame. Ceux qui lui ont gardé une rancoeur tenace n'ont jamais pu lui faire de mal, car les autres la protégeaient.

- Je sais, c'est ridicule. Mais je trouvais qu'il y avait quelque chose de bizarre en toi. D'abord il y a la pâleur de ta peau, sa froideur et sa dureté, puis le fait que tu ne pouvais pas venir me voir directement après l'école. Puis la façon dont tu as disparu sans bruit, hier soir, quand je suis rentré chez moi. Puis tu ne parles pas vraiment comme un garçon de 12 ans... Mais surtout, et ça, il m'a fallu du temps pour m'en rendre compte : tu ne respires pas ! Alors ça se peut qu'en fait tu respires si doucement que ça donne l'impression que tu ne respires pas, mais bon...

Oscar n'en croyait pas ses oreilles. Il avait été percé à jour ! Par un gamin, en plus ! Pourtant, à ses débuts, alors qu'il n'était pas encore un vampire expérimenté comme aujourd'hui, il avait usé de son apparence de petit garçon pour tromper hommes et femmes qui traînaient dehors le soir. Aucun ne l'avaient confondu avant qu'il n'ait retroussé ses babines pour se repaître de leur sang. Il avait cessé ce petit jeu quand il lut un jour la déception de cette jeune femme qui l'avait pris sous son aile. Elle lui portait une réelle affection et lui avait donné le peu qu'elle avait. Elle vivait dans la rue et lui avait offert son manteau et une place près de son feu. Elle s'était sentie enfin utile à quelqu'un. Elle avait cru un instant qu'il tenait à elle. Quand il avait pris sa vie, une larme avait coulé le long de sa joue. Et Oscar senti sur sa langue un peu d'amertume mêlée à ce fatalisme. Il se souvient encore aujourd'hui de la toute dernière pensée que cette femme avait eue avant de mourir. "Si au moins j'ai pu servir à ça..."

- Bref, reprit Fred, si tu es un vampire, je sais que ces pâtes ne doivent pas te paraître aussi appétissantes qu'à moi. Et vu la tête que tu as fait quand je te les ai apportées, j'ai l'impression que c'est loin d'être ton plat préféré. Bien sûr, ça ne veut rien dire, mais bon... Tout ça ensemble. Mes profs disent toujours que j'ai une imagination débordante. Tu m'en veux pas au moins ?

- Non, je ne t'en veux pas.

Et il lui sourit.

dimanche 30 novembre 2008

Oscar et Fred - Au clair de la lune

Les deux garçons discutaient maintenant depuis près d'une heure quand les parents de Fred décidèrent de se soucier de son sort. Debout dans l'encadrement de la porte de l'arrière-cuisine, les poings sur les hanches, la silhouette de sa mère se découpait nettement.

- Fred ! Rentre à la maison tout de suite, c'est pas une heure pour traîner dehors !

Fred savait qu'elle ne pouvait le distinguer d'où elle était. Comme pour confirmer cette pensée, elle porta une main en visière sur son front, pour tenter de percer l'obscurité. Après avoir hélé son prénom quelques fois, elle finit par claquer la porte. Fred n'entendit pas la discussion qui repenait de plus belle entre ses parents, mais Oscar, dont l'ouïe exceptionnelle pouvait distinguer l'envol d'un oiseau à des kilomètres, dût faire un effort pour ne pas prêter attention aux insultes qui fusaient à nouveaux derrière les murs.

- J'ai aucune envie d'y retourner, confia-t-il. De toutes façons, je suis sûr qu'ils n'ont pas fini de se disputer.

Oscar avait très peu parlé au cours de cette heure de discussion. Fred, visiblement en manque d'une oreille amicale et attentive, s'était épanché longuement sur sa situation : des parents qui ne s'aiment plus, pas de frère et soeur, tête de turc à l'école... Aux questions de Fred, Oscar avait simplement répondu avec une économie de mots sans pareil qu'il s'était enfui de chez lui.

- Wouaah ! Quel courage... avait répondu Fred, impressionné. Partir seul sur les routes, à ton âge, il faut du cran !

Oscar était resté évasif sur la façon dont il parvenait à se sustenter ou sur les endroits qu'il trouvait pour dormir, parvenant chaque fois à relancer le moulin à paroles de Fred sur un autre sujet.

La lune était haute à présent. Et Oscar commençait à sentir la faim le tirailler. Il ne savait pas comment prendre congé. La nuit était déjà bien avancée, et il lui faudrait trouver une autre victime avant l'aube.

Comme s'il avait senti le malaise de son nouvel ami, Fred émit un baillement qui venait du fond du coeur.

- Houlà ! Il venait de loin, celui-là... Ca y est, mes parents se sont couchés, dit-il en pointant du doigt en direction de la maison endormie d'où n'émanait plus aucune lumière. Je ferais bien d'y aller aussi. Tu...

Il sembla hésiter une seconde.

- Tu veux venir dormir chez moi ? Je te fais rentrer par ma fenêtre. Tu pourrais même rester à la maison demain pendant que je vais à l'école : mes parents travaillent tous les deux. Il suffit que tu te caches dans ma chambre à l'heure où ils rentrent...

- Non, c'est gentil, je te remercie, mais j'ai déjà trouvé un endroit pour ce soir.

Il songea au bunker désafecté qu'il occupait depuis plusieurs nuits, dans la forêt toute proche.

- T'es sûr ? Mon lit sera quand-même plus confortable, puis tu pourrais regarder la télé toute la journée demain...

- Non, vraiment, c'est gentil.

Fred fronça un sourcil suspicieux, puis un sourire éclaira son visage.

- On se retrouve ici demain après l'école, alors ?

- Euh... c'est à dire que, je ne sais pas où je serai demain à cette heure-là.

Il le savait très bien. Il serait terré dans son bunker dans un sommeil sans rêve, à attendre que le soleil se couche.

- Mais tu restes un peu dans le coin ? J'aimerais te revoir...

- Oui, disons demain soir, à peu près à la même heure que ce soir, qu'en dis-tu ?

- Super ! Tope-là, dit-il en lui tendant une main.

Oscar eut un mouvement de recul involontaire. Fred parut surpris, mais ne sembla pas en prendre ombrage.

- Bon, à demain soir, alors, dit-il en souriant.

Oscar regarda Fred traverser le jardin en direction de la maison. A mi-chemin, il se retourna pour faire signe à son nouvel ami, mais Oscar s'était déjà caché dans les branches. Fred scruta un instant l'obscurité, puis rentra chez lui.

Oscar ferma les yeux un moment, pour savourer encore un peu les dernières heures qu'il venait de vivre. Vivre, c'était bien le mot... Il s'était senti vivant au contact de cet enfant. Il était redevenu lui-même un peu cet enfant dont il avait encore l'apparence, mais qu'il avait cessé d'être vraiment voilà plusieurs siècles.

C'est un renard, à l'orée de la forêt, qui le rappela à ses instincts. Un renard, ça fera l'affaire pour ce soir...

samedi 29 novembre 2008

Oscar et Fred - La rencontre

Et "Vlan !" fait la porte de l'arrière cuisine qui claque.
"Je vous déteste !" hurle un petit garçon à l'adresse de ses parents, courant sans se retourner vers le fond du jardin. Au coin de ses yeux perlent de larmes de colère. Il fait déjà nuit et l'air est si frais que des nuages de buée sortent de sa bouche, au rythme de sa respiration saccadée par l'effort. Les poings serrés, il termine sa course au pied d'un grand chêne. Quand il se retourne enfin, les lumières de la cuisine ne sont plus que deux petit rectangles jaune derrière lesquels s'agitent deux ombres chinoises. Ses parents. Tellement occupés à se disputer qu'ils n'ont probablement même pas remarqué son départ. Adossé au tronc imposant de l'arbre centenaire, le petit garçon se laisse glisser doucement jusqu'à s'asseoir à même le sol humide. Il croise les bras sur ses genoux et, sentant monter dans sa gorge des sanglots qu'il ne peut plus retenir, y plonge le visage pour laisser éclater sa frustration.

Du haut de son perchoir, le prédateur a suivi toute la scène. Cela fait des nuits qu'il observe cette maison et ses occupants, bien que cela aille à l'encontre de la première règle qui lui ait été enseignée : une fois la proie repérée, il faut saisir la première opportunité pour fondre sur elle, puis changer de secteur après avoir camouflé le corps, afin de ne pas attirer l'attention.
Quand il avait choisit cette position comme observatoire, il avait d'abord pensé s'introduire la nuit par la porte de la cuisine, et s'occuper silencieusement de toute la famille. Mais l'histoire de ce petit garçon résonnait famillièrement en lui et réveillait des souvenirs qu'il pensait perdus à jamais... Tous les soirs, quand son père rentrait, il était de mauvaise humeur et critiquait tout, tout le monde, tout le temps. Ce qui avait le don d'énerver sa mère, qui haussait alors le ton. Une fois sur deux, ça finissait en pugilat : après les insultes, les assiettes volaient par dessus la table, quand ils n'en venaient pas tout simplement aux mains. Et Fred, dans tout ça, il était invisible.

Cette athmosphère lourde et ces cris incessant ravivait des images de son lointain passé... Bien sûr, le décor et les mots n'étaient pas les mêmes, mais il lui semblait que lui aussi avait suivi ce sentier pour s'effondrer au pied d'un arbre, fuyant désespérément le chaos domestique. Ce n'était pas le même sentier, ni la même époque. Mais l'air lui semblait empreint de cette même odeur de mousse et de trèfle. Tout était si flou. C'était la première fois, depuis qu'il était ce qu'il était, qu'il se sentait si proche d'avoir de vrais souvenirs. Et il avait même parfois l'impression que cela provoquait en lui des... sentiments. Il n'en avait éprouvé depuis si longtemps, qu'il ne pouvait en être sûr. Une chose était certaine. Il trouvait en ce petit garçon une sorte d'écho qui lui permettrait peut-être de se replonger dans ses origines et les moments de bonheur passés. Il s'était donc mis à l'observer, avide de ces brefs éclats de mémoire qui faisaient surface de temps à autres.

Mais jamais jusqu'à aujourd'hui il ne s'était trouvé si proche de lui. Son instinct de chasseur le prenait aux entrailles. D'ou il était, il percevait très clairement les battements de son coeur, la douce chaleur qui montait de sa nuque offerte, l'appel irrésistible de la carotide palpitante... Il avait déjà plus ou moins pris la décision il y a plusieurs jours d'épargner cet enfant, en reconnaissance des soubresauts de vie qu'il avait involontairement provoqué en lui. Mais à cette distance, il n'était plus si sûr de parvenir à contenir ce monstre intérieur qui le mettait au supplice.
C'est à ce moment que la branche sur laquelle il se tenait se rompit dans "Crac!" tonitruant. Et bien que ses réflexes surhumains lui permettent de retomber au sol avec élégance et légèreté, il n'en était pas de même de ceux du gamin sur qui la branche est tombée. Il git au sol, inanimé.
Envoyant valser la lourde branche au loin, il s'agenouille au côté de l'enfant, prenant doucement sa tête dans ses mains et oubliant la soif qui l'étreignait encore une seconde auparavant.
Pendant un instant qui lui sembla durer des heures, il attendit de voir s'il respirait encore. Et lorsque le petit garçon prit enfin une inspiration, c'était comme si une pierre tombale s'envolait de son coeur. Il était temps de s'éclipser, avant qu'il ne rouvre les yeux.

Trop tard... Deux yeux bleus écarquillés le fixaient avec étonnement.

- Qui... Qui es-tu ? Que s'est-il passé ?

Deuxième règle : ne jamais laisser de témoin...

- Tu es tout pâle... Tu vas bien ? Tu es tout seul ?

Il s'était laissé voir. Il ne pouvait pas permettre ça. Mais il ne pouvait pas non plus se résoudre à l'éliminer. C'était la première fois qu'on lui adressait la parole depuis... il ne saurait s'en souvenir. Il avait du mal à réaliser qu'un humain lui parle sans crainte. Au début, il y en avait quelques uns qui s'étaient essayés à le supplier, mais il ne pouvait supporter cela, alors il a décidé de les tuer par surprise. Mais cet enfant ne voyait en lui qu'un autre enfant. Pâle, certes, mais un enfant...

- Tu as les mains glacées. Tu vas attraper la mort.

Si tu savais...

- Tu ne sais pas parler ? Tu es muet ?

Hochement de tête. Il était comme paralysé. Incapable d'articuler un mot ou de prendre une décision. Il ne pouvait quitter le jeune garçon des yeux.

- Je m'appelle Fred, et toi ?

- ... Oscar, mon nom est Oscar.

dimanche 29 juin 2008

Drôle de coïncidence...


Flemmarde que je suis, je n'ai plus touché à "Un ennemi de poids" depuis le 15 août de l'année dernière... Je n'ai d'ailleurs plus rien osé publier d'autre sur ce blog : un sentiment de culpabilité m'étreint dès que je songe à écrire, me disant qu'il restait peu de chemin à parcourir pour achever un premier jet de roman.

Puis, il y a quelques semaines, en lisant mon magazine féminin habituel, je tombe sur un entrefilet qui annonce la parution d'un roman intitulé "La danse des obèses", de Sophie Audouin, auteure de Tara Duncan.

Le pitch : un tueur en série qui s'attaque aux obèses... Ca vous rappelle quelque chose ?

Evidemment, je n'ai pas la prétention d'accuser qui que ce soit de plagiat (encore moins une auteure déjà publiée), mais seulement, ça tue définitivement toute velléité de vouloir un jour reprendre l'écriture de ce roman. Mon sujet n'aurait plus rien d'original...

Une bonne excuse pour laisser tomber ce projet qui me pèse depuis près d'un an ? Je le traîne comme un boulet, c'est vrai. Je n'ose plus y toucher de peur de gâcher une histoire prometteuse. Il mériterait une réécriture totale (voire deux ou trois), mais cela me paraît tellement énorme comme travail !

Une occasion de relancer ce blog en m'attaquant à de petites histoires ? Pourquoi pas... Le format fonctionne assez bien, je crois. Et qui sait, ça pourrait peut-être aussi donner lieu à une publication, plus tard ?