mercredi 15 août 2007

Un ennemi de poids (21)

Vera peinait à garder les yeux ouverts. Un épais brouillard semblait s'être levé et elle ne distinguait plus que des ombres. Soudain, tout autour d'elle se mit en mouvement. Sa tête dodelinait dans tous les sens et elle avait perdu toute notion d'espace, un peu comme un plongeur en eau profonde qui ne sait plus où se trouve la surface et où s'enfoncent les abysses.
Bien qu'elle entendit des bruits, elle n'était pas en mesure de les interpréter et de les relier à une source ou à une activité précise. Comme lorsque l'on plonge la tête sous l'eau dans la baignoire pour se rincer les cheveux. Elle aimait s'immerger de la sorte et écouter le silence assourdissant qui déformait les bruits de l'extérieur en une espèce de magma sonore indéterminé.
Un éclair de douleur lui vrilla subitement le cerveau.
_ Oups ! C'est hou ce que c'est étroit, ici. Désolé si je t'ai fait hal, hais tu sais ce qu'on dit : le heilleur hoyen de haire hasser une higraine, c'est de se cogner le coude. Je hais arranger ça, t'en hais pas...
Il la jeta sur le grand lit. La douleur l'avait ramenée d'un coup de l'inconscience vers laquelle elle sombrait. Elle distinguait très nettement une silhouette penchée sur elle. D'abord elle crut n'avoir pas retrouvé entièrement la vision, car elle ne parvenait pas à discerner les traits du visage de Daniel. Mais quand elle comprit, son regard s'agrandit d'effroi.
Ses lèvres avaient complètement disparu et son oeil droit coulait sur sa joue. Les flammes avaient creusé sur tout son visage et son cou de profonds sillons suitants et un insupportable parfum de chair carbonisée flottait encore autour de lui.
Il était occupé à lui entraver les chevilles à l'aide d'une corde de nylon : une à chaque extrémité du lit. Il en avait bientôt terminé avec la seconde et il fallait que Vera tente quelque chose pour s'en sortir. Elle avisa la pochette déployée à sa droite, posée sur la table de nuit. Elle la reconnut rapidement, c'était celle qu'elle avait découverte plus tôt, dans le tiroir de la table de travail. Elle connaissait donc son effrayant contenu et ne se souvenait que trop bien des photos illustrant la façon dont il s'en servait.
Elle concentra toute son énergie et sa concentration à tendre la main vers la table de nuit, pour s'emparer de l'un des scaplels qui s'y trouvaient. Ses doigts n'étaient plus qu'à quelques centimètres de la lame la plus accessible. Au prix d'un dernier effort, elle put s'emparer du scalpel, mais un tremblement de sa main fit tomber la pochette au sol.
Daniel se retrourna d'un bond. La surprise pouvait se lire dans son unique oeil. Il la croyait dans les vapes. Vera en profita pour se redresser, élançant sa main armée droit vers le coeur de son agresseur, mais les réflexes de Daniel furent plus rapide que les siens. D'une seule main, il retint son bras, la désarma et la fit retomber sur le lit. Le scalpel pointé sur sa joue, il rapprocha son visage du sien, comme pour l'embrasser puis se pencha vers son oreille il lui sussura :
_ Tu has hientôt henir he rejoindre au hays des honstres et de la douleur, hetite garce. Je hais te laisser le temps de déguster chacune des hlessures que je t'inhligerai jusqu'à ce que tu he supplies de t'achever, mais je ne te herai has ce...
Il s'immobilisa soudain, sentant le canon froid d'une arme à feu se loger dans sa nuque.
_ Essaye un peu pour voir, dit une voix derrière lui.
Un homme en noir, cagoulé et protégé par un gilet en kevlar, se tenait derrière lui, un fusil mitrailleur pointé sur sa tête.
_ Très astucieux, dit Daniel, si tu tires, tu abats la dame. Est-ce vraiment ce que tu veux ?
Et sans attendre de réponse, il effectua un rapide mouvement de rotation avec le bras qui tenait le scalpel, blessant l'homme à la joue. Celui-ci tomba à la renverse dans un cri, portant ses deux mains au visage.
Dans un premier temps, Daniel songea à s'emparer de l'arme, mais celle-ci était attachée à son propriétaire par une bandoullière et il entendait d'autres pas sur le pont. Dans un instant ils seraient sur lui. Il décocha un coup de pied à la tête de l'homme à terre et sortit de la pièce, disparraissant de la vue de Vera.
Tout cela n'avait pas pris plus de quelques secondes, Vera avait du mal à réaliser ce qui était en train de se passer. Son sauveur gisait par terre, inconscient. D'après les bruits de pas, ils semblaient être plusieurs mais ne elle ne saurait dire combien. Ils l'avaient retrouvée et étaient venus la sauver, c'était ça l'important. Daniel ne pourrait pas s'échapper, ils étaient plus nombreux que lui.
Guettant des bruits de combats pour s'assurer qu'ils parvenaient à le maîtriser, elle n'entendit rien de tel. Elle voulait crier pour les appeler, mais elle n'en avait pas la force.
Etait-ce l'émotion, l'anesthésiant ou les efforts qu'elle avait réalisés pour tenter de se libérer, elle fut prise d'une violente nausée qui menaça de l'étouffer. Elle tenta de rouler sur le côté, mais ses pieds attachés rendaient la tâche beaucoup plus difficile et elle se sentit partir.
Lorsque Guillaume la trouva, elle était immobile, les yeux révulsés et baignait dans une flaque de liquide jaunâtre.

*

Guillaume faisait les cent pas dans la salle d'attente de l'hôpital. Rousseau l'y avait rejoint. Il n'avait pas eu de nouvelles de Bill, qui avait pourtant promis de passer au commissariat pour discuter avec le commissaire de son éventuelle admission à la criminelle.
Dès qu'un médecin poussait la double porte battante, il sursautait, le regard plein d'espoir, mais la plupart du temps, ce n'était pas pour lui. Cela faisait trois heures que l'hélicoptère les avait déposés et seule une infirmière était venue lui dire qu'ils « faisaient ce qu'ils pouvaient » et qu'ils « ne pouvaient pas encore se prononcer ».
D'après les informations qu'il avait obtenu, elle avait été droguée et avait peut-être fait une overdose. Ils ne pouvaient (ou voulaient ?) pas lui dire si elle avait été violée ou non, mais son expérience à la criminelle lui disait que, vu la position dans laquelle il l'avait retrouvée, il y avait de forte chance que ce fut le cas. Elle ne portait pas de traces de coups ou de sévices corporels. Le gars qui était intervenu en premier, celui qui s'était fait défigurer, avait dit qu'il était penché sur elle avec un scalpel, ils étaient donc intervenus juste à temps.
Malheureusement, ils n'avaient pas pu le retrouver. Ils étaient incapables de se l'expliquer, mais le seul à avoir vu Daniel était celui qui avait failli y perdre un oeil. Ils ont fouillé le bateau de fond en comble et la conclusion fut qu'il avait probablement sauté. Bien que la côte fut visible de là où se trouvait le bateau, il avait peu de chances de s'en sortir. Néanmoins, un nouveau portrait robot était en cours de réalisation et allait être diffusé via Interpol.
Un médecin passa la double porte. Cette fois, il semblait bien que c'était à lui qu'il venait parler.
_ Dites-moi qu'elle va bien, docteur. Je vous en prie...
_ Oui, elle est sortie d'affaire. Il a fallu la ramener de loin : son cerveau a manqué d'oxygène et il a fallu nettoyer son sang de la drogue qu'il contenait, mais elle et l'enfant vont bien.
_ ... ! L'enfant ? Elle est enceinte ?
_ Vous ne le saviez pas ? Je suis désolé, je vous l'aurais annoncé autremement. Oui, elle est enceinte de trois semaines.
_ A-t-elle... je veux dire... est-ce qu'elle a subi des sévices sexuels ?
_ Il y a en effet des traces de rapports sexuels, je suis désolé.
_ Puis-je la voir ?
_ Nous la ramenons à sa chambre. Vous pourrez la voir dans quelques minutes, chambre 612, mais elle risque de dormir, elle est épuisée.
_ Très bien, je vous remercie docteur.
Alors que le médecin s'écartait, Rousseau le retint par le bras et lui glissa quelques mots à l'oreille, auxquels le médecin acquiesca. Puis il revint vers Guillaume.
_ Si cette enflure a survécu, il n'ira pas loin. Il est défiguré et nous avons son portrait-robot, ses empreintes, son profil ADN... Nous avons ramené son bateau au port, on trouvera encore certainement des tonnes d'indices : ses cartes, etc. On va le coincer, je te le promets.
(à suivre... ou pas ?)